Rencontres avec Jésus – L’adversaire

Illustration librement inspirée d’une peinture de Jean de Flandres

Une nouvelle invitation à rencontrer Jésus, au travers de son interaction avec « l’adversaire »

RENCONTRES AVEC L’ADVERSAIRE : Matthieu 4,1-11

Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu – Chapitre 4

01 Alors Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable.

02 Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim.

03 Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. »

04 Mais Jésus répondit : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »

05 Alors le diable l’emmène à la Ville sainte, le place au sommet du Temple

06 et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. »

07 Jésus lui déclara : « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »

08 Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire.

09 Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. »

10 Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte. »

11 Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient.

Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris


Commentaire de l’Évangile

Par Daniel Cadrin, o.p.

Cette rencontre de Jésus est différente des autres. Il a rencontré des femmes et des hommes, en santé ou malades, qui étaient ouverts à son message ou réservés ; quelques uns l’ont suivi. Mais voici qu’il se retrouve avec un opposant radical, qui veut le faire dévier de sa mission. En ce début du Carême, allons avec Jésus rencontrer le tentateur (v.3).

Les trois tentations de Jésus, en Matthieu, se passent en trois lieux différents: la première au désert, la deuxième au Temple de Jérusalem, puis la troisième sur une haute montagne. Est-ce là un simple hasard, le tentateur et Jésus ayant envie de changer d’air, de varier les décors de leur duel? Dans la Bible, ces trois lieux ne sont pas des endroits insignifiants ou banaux. Ce sont justement des lieux où le Dieu vivant se révèle, où il est cherché et rencontré. Au désert, Dieu s’est fiancé avec son peuple en marche; Jésus ira y prier. Au temple, Dieu est présent parmi son peuple et est célébré; Jésus s’y rendra plusieurs fois. Sur la montagne, Dieu a révélé son nom à Moïse et a donné la Loi; Jésus y enseignera et y sera transfiguré.

L’épreuve de Jésus touche ainsi, par ces seuls lieux, à l’expérience religieuse elle-même, à ses risques et ses options. Puisque ce sont trois lieux privilégiés pour une expérience plus forte du Dieu vivant, c’est donc là aussi, en ces lieux de notre quête, que l’idole peut s’immiscer et prendre la place de Dieu. Le rôle du diable (v.1,5,8,11) est de proposer l’idole, i.e. l’illusion, au lieu du Dieu de vie. Il fait son métier de séparateur, de diviseur. C’est le sens premier de dia-bolique : ce qui sépare, désunit. Le contraire même de ce qui est sym-bolique : ce qui unit, met ensemble, comme Jésus le symbole par excellence.

La tentation sur la montagne est la plus importante en Matthieu, alors qu’en Luc, c’est le temple, et en Marc, le désert. Son livre est structuré autour des montagnes. Dans la Bible, la montagne évoque le Dieu qui nous dépasse, le Dieu de gloire et de lumière, plus majestueux que celui du désert et moins familier que celui du temple. Le Dieu devant qui se prosterner. Ici, le pauvre diable, après deux essais infructueux, laisse tomber les masques et dévoile clairement son jeu. Il demande d’être adoré et il offre le pouvoir. Il montre bien ses cartes: le lien profond entre l’idole, l’illusion, et le pouvoir qui est la suprême idole, qu’on prend pour Dieu, qui s’offre comme un dieu à vénérer. Car le pouvoir donne l’illusion d’être dieu, d’être à la place de Dieu.

Jésus ici appelle le diable d’un autre nom Satan (v.10), l’Adversaire, l’opposant au Règne de Dieu. Ce Règne, au contraire de l’offre du pouvoir, invite au service et au don de soi. La réponse de Jésus, comme à chaque tentation, puise dans les Écritures: Il est écrit. Elle est cinglante, aussi nette que l’offre du Satan, et va au coeur de l’enjeu. Seul Dieu, le Tout-Proche et le Tout-Autre, le Très-Haut et le Très-Bas, créateur et miséricordieux, peut être adoré. Il n’est pas illusion ou idole, il a droit au culte en vérité car il est source de vie.

Désert, temple, montagne: trois lieux dans les Écritures où l’Alliance entre Dieu et son peuple est vécue, où elle est conclue, célébrée, donnée et renouvelée. Où sont aujourd’hui nos propres déserts, nos temples, nos montagnes, ces lieux de nos vies où, à la suite de Jésus, nous cherchons le visage de Dieu, où nous le rencontrons, où nous sommes éblouis? Ces relations et ces engagements, ces prières et ces travaux, ces lieux intérieurs et ces endroits physiques, ces expériences personnelles et collectives qui peuvent être profondément libératrices ou aliénantes: c’est là que se joue l’enjeu de notre relation au Dieu vivant, le choix entre l’idole, le faux visage de Dieu qui nous trompe et nous écrase, et l’icône, la sainte face qui nous éclaire et nous relève.

Quels sont nos déserts, au plus profond de nous, où nous sommes tentés par la consommation des biens matériels et spirituels pour ne plus avoir faim et soif, où l’idole de l’avoir immédiat veut nous combler, mais où le Dieu des eaux vives nous offre sa Parole et nous invite à rester en attente… Quels sont nos temples, ces lieux sacrés de toutes sortes, où nous sommes tentés de fuir les risques de la vie humaine, où l’idole d’un Dieu faussement provident veut nous priver de liberté, mais où le Dieu créateur et attentif nous offre son amitié soutenante et nous invite à marcher sur nos pieds…

Quelles sont nos montagnes, ces lieux impressionnants où nous avons une vue d’ensemble mais où nous pouvons croire tout contrôler sans avoir besoin de personne, ni même de Dieu, où l’idole de la toute-puissance veut prendre contrôle en nous, mais où le Dieu plus grand que tout et très-aimant nous offre son don de vie et son pardon et nous invite à l’abandon et à l’adoration… Jésus fait face au tentateur et lui répond à partir des Écritures. Dans mes luttes et mes options, au désert, au temple ou à la montagne, quelles paroles des Écritures m’inspirent particulièrement?

Dans ces visages de Jésus mis à l’épreuve, Matthieu nous invite à la vigilance, à un éveil de nos antennes spirituelles, pour ne pas nous prendre pour d’autres mais respecter qui nous sommes, des enfants de Dieu, fragiles et libres. Et aussi pour ne pas prendre Dieu pour une idole mais respecter qui il est, le Père des miséricordes, à la fois plus grand et plus intime que notre coeur, à qui rendre un culte.

Images

Ce récit biblique est important. Il a été abondamment commenté dans les écrits spirituels et théologiques. Il a aussi inspiré les artistes, surtout ceux des 11e – 16e siècle, pour revenir au 19e. En Matthieu et Luc, il offre plusieurs possibilités à cause des trois lieux de tentation. En Marc, il n’y a que le désert. En fait, ce premier lieu a été davantage utilisé dans l’art des derniers siècles. Des œuvres, surtout les anciennes, montrent les trois lieux, de façon plus complète.

La figure du diable est intéressante à visualiser : familière ou étrange, terrifiante ou discrète, avec des traits précis ou plutôt symboliquement évoquée. On en trouve une grande variété. Jésus peut avoir l’air plus assuré ou inquiet, triomphant ou encore en lutte. Dans les œuvres modernes, il est souvent méditatif et seul, engagé dans son combat. Dans la scène finale, des anges s’approchent et le servent : on les retrouve dans certaines oeuvres. Un autre intervenant est la Parole de Dieu qui revient à chaque tentation, dans chaque lieu. Il est plus difficile de rendre visible son écho, mais certains le font.

Voici quelques mises en images de ce combat, ancien et actuel.

  1. Miniature, c.1020-1030, Codex Aureus Epternacensis, folio 20, recto, Musée National Germanique, Nuremberg, Allemagne. Ce manuscrit enluminé, écrit avec des lettres d’or, a été réalisé par le scriptorium de l’Abbaye d’Echternach, ville aujourd’hui au Luxembourg. Les tentations suivent l’ordre de Matthieu : le désert avec les pierres, l’édifice du temple, la montagne stylisée. Le Jésus imberbe et nimbé de l’Antiquité rencontre un diable ailé (ange déchu) et laid, qui s’agite. À chaque étape, Jésus a en mains un rouleau de la Parole; cela montre une bonne saisie du texte par l’artiste.
  1. Mosaïque, 12e -13e siècle, Basilique Saint-Marc, Venise, Italie. Dans cette cathédrale de style byzantin, se trouve un des plus grands ensembles de mosaïques au monde. Celle-ci présente la séquence de Matthieu. Le petit diable, avec ailes et cornes, n’a pas l’air très malin! Jésus est plus grand que lui. À gauche, à Jésus assis sur un rocher, il offre les pierres à changer en pain; au centre, Jésus est au sommet du temple; à droite, il est sur la montagne. Là aussi, Jésus a en mains un rouleau de la Parole. En bas, à droite, le diablotin est renvoyé, dénudé, alors que trois anges, impressionnants et grands, s’approchent.
  1. Sandro Botticelli, 1481-1482, Chapelle Sixtine, Vatican. Ce peintre de Florence, une des figures majeures de la Renaissance, a travaillé avec d’autres artistes aux fresques de la chapelle du pape Sixte IV à Rome, portant sur la vie de Moise et celle du Christ. Cette grande fresque comprend plusieurs personnages et scènes, avec un rituel sacrificiel au centre. Les trois tentations se trouvent en haut. Le diable se présente en ermite, avec un objet de piété, ce qui dit bien l’enjeu religieux des tentations. À gauche, il indique les pierres à Jésus. Au centre, les deux sont au pinacle du temple. À droite, sur la montagne, le diable est démasqué et chassé. Des anges viennent préparer la table eucharistique.
  1. Miniature, c. 1497, Bréviaire d’Isabelle la Catholique, Ms 18851, British Library, Londres, Angleterre. Ce manuscrit enluminé a été réalisé par des peintres flamands à Bruges. Il a été remis à la reine d’Espagne à l’occasion du mariage de ses deux enfants. Il est considéré comme l’un des trésors de la British Library. Les trois lieux de tentation sont présents : au centre, le désert ; à droite, le temple ; à gauche, la montagne. Le diable, là aussi, est habillé en moine, avec un chapelet. En fond de scène, la ville de Jérusalem. Les contours décoratifs, avec leurs motifs végétaux, sont raffinés.
  1. Carl Heinrich Bloch, 1868, Chapelle du Château de Frederiksborg, Copenhague, Danemark. Cet artiste de Copenhague, formé aux Pays-Bas et en Italie, a peint des scènes historiques et religieuses. Ses œuvres bibliques ont été et sont encore populaires dans les diverses Églises chrétiennes. Ce tableau fait partie des 23 scènes de la vie du Christ qu’il a peintes pour le Palais Frederiksborg. Bloch a été marqué par Rembrandt et par le courant romantique. La scène se passe sur un sommet rocheux, entouré de brouillard. Le Christ debout est solennel; l’Adversaire, à figure humaine, est au sol, en mouvement. Le rouge revêt les deux protagonistes. Le tout est dramatique.
  1. Yvan Kramskoï, 1872, Galerie Tretyakov, Moscou, Russie. Ce peintre russe de Saint-Pétersbourg fut engagé dans un renouveau de l’art et la lutte pour les droits démocratiques. Il a peint plusieurs portraits et scènes de genre. Ici, c’est un Christ au désert qui est très dépouillé. L’environnement est vaste et rocailleux. Le Christ, assis, est concentré en lui-même, poursuivant son combat intérieur.
  1. James Tissot, c.1886-1894, Brooklyn Museum, États-Unis. Cet artiste français, qui a illustré la majorité des scènes des Évangiles, a vécu en Terre sainte et cela peut se voir ici. Le paysage rocheux est celui près de la mer Morte. L’approche de Tissot est originale : Jésus est dans une grotte, à l’écart. La figure du diable est celle d‘un ascète barbu à la peau brûlée, un anachorète du désert qui vit lui aussi dans le jeûne et la prière. Ainsi, la tentation vient du dedans même de l’expérience de Jésus. Agenouillé sur son tapis, le diviseur présente les pierres à transformer en pains. Jésus, tout vêtu de blanc, est recueilli.
  1. Ilia Repin, 1895, Musée Russe, Saint-Pétersbourg, Russie. Né à Kharkiv, aujourd’hui en Ukraine mais à cette époque dans l’Empire russe, cet artiste célèbre fut d’abord peintre d’icônes. Il se forma à Saint-Pétersbourg et voyagea en Europe. Il fut proche de plusieurs figures artistiques et littéraires, dont Kramskoï et Tolstoï. Versatile, il a intégré les nouveaux courants européens et il a utilisé divers styles. Il a fait plusieurs tentations du Christ. Ici, le diable a une forme sombre et menaçante, face à un Christ lumineux. Le mouvement et les couleurs expriment de façon vive la bataille dramatique qui se joue en ce lieu.
  1. Domenico Morelli, 1895, Galerie Nationale d’Art moderne, Rome, Italie. Ce peintre napolitain fut très influent et connu au 19e siècle. Engagé dans des formes nouvelles d’art, il fut aussi sénateur. Ici, nous avons une œuvre sur la tentation qui est différente de celles de cette époque, très nombreuses. Le Christ certes est au désert, assis, en blanc, concentré et sérieux, mains ouvertes, dans un environnement aride. Mais nous avons la finale de la scène : deux anges, en bleu, s’approchent pour le servir, avec feuillage et eau. Le ton est finalement confiant et rafraîchissant.
  1. James B. Janknegt, 1990, site bcartfarm.com, États-Unis. Cet artiste du Texas cherche à mettre en œuvre un art chrétien qui soit expressif et actualisé dans le contexte moderne. Avec son épouse, il est devenu catholique en 2005. Cette oeuvre montre le combat de Jésus. Le désert est présent au bas, la cité sainte en haut. Les tentations reviendront à la Croix, avec les moqueurs (Mt 27, 39-44), évoqués par le masque à gauche. Dans les yeux de Jésus, se voit la possibilité de sa chute.
  1. Chris Cook, 2003, site chriscookartist.com, États-Unis. Ce peintre et illustrateur vient de la Georgie, au sud des États-Unis. Il s’inscrit dans le courant américain de l’expressionisme du Sud (Southern expressionnism), marqué par des couleurs fortes, de larges coups de pinceaux et des formes à la frontière du figuratif. Il a fait plusieurs œuvres d’inspiration chrétienne. Face à l’adversaire monochrome, Jésus s’avance, auréolé de lumière.
  1. Ron DiCianni, 2003, site rondicianni.com, États-Unis. Originaire de Chicago, il a travaillé comme illustrateur pour plusieurs compagnies. Il s’est ensuite entièrement consacré à l’annonce de l’évangile par l’art. Voici, au désert, un Jésus concentré et recueilli, qui partage nos quêtes et difficultés. La figure de l’Adversaire est montrée avec force dans le nuage qui le surplombe. Voici l’Ombre maléfique, immense et menaçante.
  1. Michael D. O’Brien, The Art of Michael D. O’Brien, Ignatius Press, San Francisco, 2019. Cet écrivain catholique, qui est originaire d’Ottawa et a vécu à Inuvik, est l’auteur renommé de plusieurs romans et essais. Il est aussi peintre, de style néo-byzantin, et réside à Combermere en Ontario. Nous voyons ici Jésus engagé dans une lutte intérieure. Il est dans une sorte de matrice, en posture de combat et de re-naissance. La figure de l’adversaire est à l’avant à gauche, le doigt comme une arme. Le bleu et le rouge dominent. C’est en notre nom que Jésus livre ce combat. Nous ne sommes pas à l’extérieur de ces images …

Daniel Cadrin, o.p.


​​Dessin à tracer et à colorier

Ci-dessous un dessin simplifié à tracer et à colorier, librement inspiré d’une peinture de Jean de Flandres.

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Rencontres avec Jésus – Un paralysé et ses quatres porteurs

Illustration librement inspirée d’une représentation de la tradition chrétienne orthodoxe

Une nouvelle invitation à rencontrer Jésus, au travers d’un paralysé et des quatre porteurs qui le transportent.

UNE ÉQUIPE PORTEUSE ET INGÉNIEUSE : Marc 2, 1-12

Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc – Chapitre 2

01 Quelques jours plus tard, Jésus revint à Capharnaüm, et l’on apprit qu’il était à la maison.

02 Tant de monde s’y rassembla qu’il n’y avait plus de place, pas même devant la porte, et il leur annonçait la Parole.

03 Arrivent des gens qui lui amènent un paralysé, porté par quatre hommes.

04 Comme ils ne peuvent l’approcher à cause de la foule, ils découvrent le toit au-dessus de lui, ils font une ouverture, et descendent le brancard sur lequel était couché le paralysé.

05 Voyant leur foi, Jésus dit au paralysé : « Mon enfant, tes péchés sont pardonnés. »

06 Or, il y avait quelques scribes, assis là, qui raisonnaient en eux-mêmes :

07 « Pourquoi celui-là parle-t-il ainsi ? Il blasphème. Qui donc peut pardonner les péchés, sinon Dieu seul ? »

08 Percevant aussitôt dans son esprit les raisonnements qu’ils se faisaient, Jésus leur dit : « Pourquoi tenez-vous de tels raisonnements ?

09 Qu’est-ce qui est le plus facile ? Dire à ce paralysé : “Tes péchés sont pardonnés”, ou bien lui dire : “Lève-toi, prends ton brancard et marche” ?

10 Eh bien ! Pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a autorité pour pardonner les péchés sur la terre… – Jésus s’adressa au paralysé –

11 je te le dis, lève-toi, prends ton brancard, et rentre dans ta maison. »

12 Il se leva, prit aussitôt son brancard, et sortit devant tout le monde. Tous étaient frappés de stupeur et rendaient gloire à Dieu, en disant : « Nous n’avons jamais rien vu de pareil. »

Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris


Commentaire de l’Évangile

Par Daniel Cadrin, o.p.

Dans les Évangiles et dans cette chronique, différents individus, hommes et femmes, rencontrent Jésus. Mais cette fois-ci, dans un récit de guérison en Marc, c’est une équipe qui rencontre Jésus. Il y a aussi un individu, le paralytique guéri, et quelques scribes, mais les figures principales et anonymes sont celles de quatre porteurs. Le récit se retrouve en Matthieu (9, 1-9) et Luc (5, 17-26), mais il est plus développé et intéressant chez Marc.

La scène se passe à Capharnaüm, ville de Galilée, au nord et au bord du lac de Tibériade (mer de Galilée). Simon Pierre et André y habitent; leur maison est la base des activités de Jésus. Celui-ci rayonne de cette ville, où il revient (Mc 2,1-2; 9,33). Le contexte de son action est une prédication: Jésus leur annonce la Parole. La foule est nombreuse et tassée dans la maison de Simon. Et voici qu’une vie est changée : un paralysé, au début porté par des gens, à la fin marche vers sa maison.

Pour que cette transformation advienne, il a fallu plusieurs intervenants: l’équipe de quatre porteurs qui l’amène à Jésus, puis Jésus, et enfin le paralysé. Les premiers font face à un obstacle : à cause de la foule, ils ne peuvent passer par la porte de la maison pour amener le malade. Alors ils trouvent une solution inventive pour que le paralysé rencontre Jésus personnellement; ils passent par le toit! Le pardon, puis la guérison donnée par Jésus, ne sont pas ici rattachées à l’affirmation de foi du malade, mais à celle de la bande des quatre qui l’ont amené et porté: “voyant leur foi”. Nous n’avons pas d’information sur eux mais il est clair qu’ils sont très motivés et déterminés; leur foi les rend pro-actifs et ingénieux.

Nous n’arrivons pas à Jésus tout seul, à force de nos poignets. D’autres souvent nous y conduisent; c’est leur confiance qui nous porte quand nous-mêmes ne pouvons plus bouger. Mais le paralysé prend aussi sa part dans cette transformation. Jésus l’appelle à se lever, à prendre son brancard et à marcher. C’est à la fois l’action confiante de ses proches et la parole vivifiante de Jésus qui transforment la vie du paralysé. Il est maintenant capable d’aller et de réintégrer une vie normale, il se tient debout et marche. Cela dit la force de résurrection du Christ vivant, le Fils de l’Homme qui a pouvoir de pardonner et qui remet les gens dans leur dignité. Et cela dit le rôle central des personnes qui font le relais pour rendre accessible la parole qui pardonne et guérit. Ces actions conjuguées portent un fruit de vie renouvelée: l’homme prit aussitôt son brancard. Un élan de vie intense l’anime maintenant.

On pourrait croire que cette transformation va susciter l’étonnement joyeux de tous. Mais quelques scribes sont choqués par la parole de pardon de Jésus. Et pour cause! En pardonnant, Jésus rend Dieu très proche, tout près de la vie des gens et la transformant. Tout n’est pas figé dans l’irrémédiable. Ces scribes se sentent probablement menacés dans leur vision religieuse elle-même, où chacun a sa place précise et où celle de Dieu est bien au-dessus, ne pouvant quitter son éloignement sans risque de se dissoudre. Mais Jésus brise ici les frontières du sacré et ébranle un ordre du monde bien construit. Cette proximité du divin, qui remet debout, peut faire s’écrouler tout l’échafaudage de l’accès au sacré. Ces scribes seront conséquents avec eux-mêmes quand plus tard ils comploteront contre Jésus pour arrêter son rayonnement.

Nous voudrions parfois que nos vies soient entièrement entre nos mains, que nous puissions en contrôler le parcours et ne rien devoir à personne. Ou au contraire, nous ressentons nos vies comme un destin sans prise, une suite de fatalités auxquelles nous n’avons qu’à nous résigner, paralysés par notre histoire. Ces sentiments jouent dans notre vie de foi et notre perception de la présence de Dieu. L’exaltation de soi donne une spiritualité du mérite où tout dépend de ce que je fais; Dieu, tenu à distance, n’a qu’à donner son dû à ceux qui l’ont gagné. Le mépris de soi produit une spiritualité de l’inconsistance où nos efforts ne comptent pour rien; Dieu est si loin de nos misères sans rémission, sans importance.

Le récit de Marc vient questionner ces deux approches, qui nous déshumanisent et ignorent tant la vérité de notre condition que celle du don de Dieu. L’essentiel nous est donné et nous vient par des voies inattendues, passant par d’autres, amis, proches, enfants, aînés, qui ont foi plus que nous et nous portent au-delà, vers une vie nouvelle. L’appel de Jésus retentit et nous provoque; il invite à se lever mais aussi à prendre ce qui était le signe même de notre impuissance, le brancard, et à le porter au lieu que celui-ci nous porte. Dans ce récit, nous pouvons nous reconnaître dans le paralysé comme dans les scribes, mais aussi dans les porteurs qui ont amené l’homme à Jésus. Si nous-mêmes sommes portés par la foi des autres, nous pouvons à notre tour servir de porteurs, pour que d’autres rencontrent Jésus et accèdent à la parole qui transforme.

Images

Depuis l’Antiquité, à toutes les époques, ce récit a été mis en images. Il comprend plusieurs personnages, avec de l’action et du mouvement, et une entreprise de descente d’un paralysé par un toit, ce qui requiert un sens de la débrouillardise et une ingéniosité technique. Tout cela est visuellement intéressant! Des moyens picturaux très variés ont été utilisés pour le montrer: fresques, mosaïques, miniatures, peintures, gravures, vitraux, …

Le récit met en scène diverses figures : Jésus, la foule, les quatre porteurs, le paralysé, les scribes. Des éléments du paralysé peuvent varier : son âge, son vêtement, son style de brancard. Jésus, assis ou debout, est en position d’autorité et pose un geste; ses disciples sont souvent présents près de lui. Les porteurs anonymes peuvent être quatre ou moins, selon les possibilités de l’espace du cadre. Les scribes peuvent être plus ou moins mis en évidence.

Le récit se déroule dans une séquence de moments : le transport du paralysé, la rencontre de celui-ci avec Jésus et le pardon donné, le débat avec les scribes, la guérison du paralysé qui se lève et marche. Les œuvres peuvent se concentrer davantage sur l’un ou l’autre moment ou en inclure quelques uns. Le début et la fin retiennent davantage l’attention.

Cette histoire se passe dans une ville, Capharnaüm, et dans un lieu précis, la maison de Simon Pierre. La salle de la rencontre peut être agrandie, pour les besoins de mettre tous ces personnages, ou plus régulière, ce qui accentue la proximité. Ces éléments peuvent aussi n’être qu’évoqués.

Voici quelques œuvres, du 3e au 21e siècles, montrant ces figures, ces moments et ces lieux par divers procédés et styles.

  1. Fresque, 3e siècle, Yale University Art Library, New Haven, États-Unis. Cette fresque fait partie de celles découvertes à la Domus Ecclesiae (maison chrétienne) de Doura-Europos, en Syrie, lors des fouilles archéologiques de 1932. Cette maison aménagée pour le culte chrétien, vers 240-241, avait un baptistère et contenait les plus anciennes œuvres, connues, de l’art figuratif chrétien. Ces scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament, formant un cycle narratif, avaient une fonction catéchétique. Celle-ci, au mur nord du baptistère, est la plus ancienne représentation d’un miracle de Jésus. Au centre, Jésus étend la main; c’est un jeune homme imberbe, comme il le sera surtout dans les œuvres de l’Antiquité. Pour le paralysé, jeune lui aussi, la scène est en deux temps : à droite, il est couché sur un brancard; à gauche, il est debout portant ce brancard.
  1. Mosaïques, 6e siècle, Basilique St-Apollinaire-le-Neuf, Ravenne, Italie. Dans cette église ancienne, les nombreuses mosaïques offrent un enseignement visuel. Deux mosaïques portent sur notre récit. Jésus, figure jeune et nimbé, par son geste de bénédiction pardonne et guérit le paralysé qui tend les mains vers lui. Les porteurs le descendent du toit avec des cordages; une structure de maison est bien visible. Puis Jésus envoie ce jeune homme, debout et bien vêtu, portant son brancard. Dans les deux mosaïques, quelqu’un (un disciple?) accompagne Jésus; dans la première, sa main invite à regarder Jésus; dans la deuxième, près du cœur, elle dit la reconnaissance.
  1. Miniature, c.1020-1030, Codex Aureus Epternacensis, Musée National Germanique, Nuremberg, Allemagne.  Ce manuscrit enluminé, écrit avec des lettres d’or, a été réalisé par le scriptorium de l’Abbaye d’Echternach, aujourd’hui au Luxembourg, sous l’Abbé Humbert; l’abbaye fut supprimée à la Révolution française. Jésus, encore jeune et nimbé, est assis et bénit le paralysé; Simon Pierre, dont c’est la maison, est avec lui. Les quatre porteurs, semblables, sont présents à droite, puis en haut tenant les cordages. Le paralysé est au centre, étendu sur son brancard, mains tendues vers Jésus; puis debout à droite, portant son brancard. En bas au centre, assis, les deux scribes qui questionnent et discutent. Des éléments architecturaux encadrent la scène. C’est une miniature, mais elle réussit à presque tout mettre!
  1. Mosaïque, 1179-1182, dôme, Cathédrale de Monreale, Sicile, Italie. Cette église est remplie de mosaïques de style byzantin. Celle-ci fait partie du cycle de la vie du Christ. Jésus, nimbé et barbu, est assis en majesté, comme un Pantocrator; sa main droite intervient auprès du paralysé, l’autre tient un rouleau de la Parole. Trois disciples sont derrière lui, dont Jean plus visible. Deux porteurs, en haut, tiennent les cordages. Le malade, assis dans son brancard en descente, tend les mains vers Jésus. À droite, face à Jésus, se trouvent les scribes, dont l’un plus jeune fait pendant à Jean. Là aussi des éléments architecturaux offrent un cadre; mais, en prime, le carrelage est à noter.
  1. Miniature, c.1190-1200, Bible de l’Abbaye St-Bertin, Ms 76, Bibliothèque Koninklijke, La Haye, Pays-Bas. Cette abbaye du 7e siècle était située à Saint-Omer au nord de la France; elle a subsisté jusqu’à la Révolution française. Son scriptorium a produit plusieurs manuscrits enluminés. Cette miniature est de la même époque que l’œuvre précédente, avec des points communs mais des différences. Jésus, assis et solennel, bénit le paralysé; celui-ci est en descente; les deux porteurs en haut tiennent les cordages; des éléments architecturaux sont suggérés. Mais le paralysé n’est pas tourné vers Jésus et son brancard est peu élaboré. L’accent est mis sur les scribes, qui prennent de la place et sont en train d’argumenter, avec une foule derrière eux.
  1. Matthäus Merian l’Ancien, gravure, 1625-1630, Bible de Merian, Lazare Stezner, Strasbourg. Graveur et éditeur suisse de Bâle, il a travaillé surtout à Francfort. Formé à Zurich, il a fait des séjours en France, aux Pays-Bas, en Allemagne. Homme religieux, il a illustré des Bibles, dont la traduction en allemand de Luther, d’où vient cette gravure. Il y a beaucoup de monde. Le lieu est une grande salle, avec trois fenêtres; et on voit au fond la foule massée à l’entrée. L’équipe des porteurs est au travail en haut. À gauche, Jésus auréolé voit leur foi; Pierre les regarde. Le paralysé, aux mains jointes, est en train d’atterrir; son visage est tourné vers Jésus. Plusieurs femmes sont présentes, habillées selon le style du 17e siècle. Les scribes sont quelque part.
  1. Bernhard Rode, gravure, 1780, site commons.wimedia.org. Cet artiste de Berlin, où il a travaillé, vient d’une famille de graveurs. Formé aussi à Paris et Rome, il a fait surtout des scènes historiques et il s’inscrit dans le courant des Lumières du 18e siècle. Ici, le paralysé est un costaud, plutôt lourd à porter. Le toit a été bien ouvert pour faciliter sa descente. On espère que les cordes vont tenir! Jésus est debout et en action. Les scribes, à l’avant, sont en discussion. Il y a aussi beaucoup de monde dans cette salle.
  1. James Tissot, c.1886-1894, Brooklyn Museum, États-Unis. Selon son usage, cet artiste français sait mettre en scène le contexte et l’action de façon vivante. Le défi de faire descendre le paralysé est bien montré, avec le travail coopératif et l’effort requis; plusieurs sont actifs, en haut et en bas. Les autres figures, dont Jésus assis, sont concentrées sur ce mouvement. Le lieu est plus modeste.
  1. Harold Copping, 1910, The Copping Bible, Religious Tract Society, London, Angleterre. Cet artiste britannique, originaire de Londres, a illustré la Bible. Ses oeuvres ont été et demeurent très populaires, par leur vivacité et leur sens du contexte. Comme dans l’œuvre précédente, la scène est très animée. Mais les porteurs ont fait leur travail; le paralysé est rendu en bas et se tourne vers Jésus, assis près de lui. Au fond, la foule est massée à l’entrée. Il est à noter la variété des figures présentes dans le lieu : des hommes et des femmes, et des gens de tous les âges.
  1. JesusMafa, c.1975, Collectif pour la catéchèse, Cameroun. Le récit est actualisé en contexte africain. Le toit est bien ouvert et le paralysé est descendu; on voit en haut la main d’un porteur. Jésus, debout en rouge, bénit l’homme. Là aussi, une foule variée est présente, avec plusieurs enfants. L’accent n’est pas mis sur les scribes. Ce qui est particulier dans cette scène, c’est le nombre de personnes qui sourient : c’est un événement joyeux!
  1. Joel Kirk Richards, 2001, site jkirkrichards.com, États-Unis. Cet artiste, né en 1976 dans le Utah, est membre de l’Église de Jésus-Christ des Saints-des-Derniers-Jours (Mormons). Il a fait beaucoup de scènes bibliques, dans un style personnel et inventif. La maison est intéressante avec ses nombreuses fenêtres et sa forme en demi-cercle. Plusieurs figures apparaissent ainsi devant nous, alors que d’autres sont à l’intérieur du lieu. La lumière, provenant du toit et des fenêtres, est posée sur Jésus et le paralytique tourné vers lui; leurs mains se rapprochent. Celui-ci est encore dans sa descente; les porteurs en haut le soutiennent. À droite, quelqu’un nous regarde, faisant le lien entre la scène et nous.
  1. John Armstrong, 21e siècle, Église St. George, Brighton and Hove, Angleterre. Ce peintre de Brighton, au sud de l’Angleterre, a plus de vingt œuvres dans cette église catholique. Son épouse Helen est aussi très engagée dans les réseaux d’artistes chrétiens. Ici, nous avons une scène-synthèse de récits évangéliques, dont la clé est Capharnaüm. On y voit le centurion romain et son serviteur guéri (ou l’officier royal et son fils! cf. chronique précédente), le chef de synagogue Jaïros avec son épouse et sa fille guérie, mangeant une pomme; évidemment le paralysé, rendu à terre, et les porteurs en haut; les scribes bien reconnaissables avec leur châle de prière et les Écritures de la Loi en mains; des disciples de Jésus derrière lui; sa mère Marie, nimbée, à droite à l’entrée; à gauche, portant des coupes, peut-être la belle-mère de Pierre guérie et en service… C’est une ville et une maison de pêcheurs, comme le filet au mur et le panier de poissons le rappellent. Le chat et l’enfant sous la table ajoutent une note de vie. Dans ce capharnaüm, il y a sûrement une place pour chacun-e de nous …

Daniel Cadrin, o.p.


​Dessin à tracer et à colorier

Ci-dessous un dessin simplifié à tracer et à colorier librement inspiré d’une représentation traditionnelle chrétienne orthodoxe.

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Rencontres avec Jésus – Le fonctionnaire royal

Illustration : un montage librement inspiré d’images traditionnelles chrétiennes

Une nouvelle invitation à rencontrer Jésus, au travers de la requête d’un fonctionnaire royal.

UN OFFICIER À CANA, CROYANT ET CONFIANT : Jean 4, 43-54

Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean – Chapitre 4

43 Deux jours après, Jésus partit de là pour la Galilée.

44 – Lui-même avait témoigné qu’un prophète n’est pas considéré dans son propre pays.

45 Il arriva donc en Galilée ; les Galiléens lui firent bon accueil, car ils avaient vu tout ce qu’il avait fait à Jérusalem pendant la fête de la Pâque, puisqu’ils étaient allés eux aussi à cette fête.

46 Ainsi donc Jésus revint à Cana de Galilée, où il avait changé l’eau en vin. Or, il y avait un fonctionnaire royal, dont le fils était malade à Capharnaüm.

47 Ayant appris que Jésus arrivait de Judée en Galilée, il alla le trouver ; il lui demandait de descendre à Capharnaüm pour guérir son fils qui était mourant.

48 Jésus lui dit : « Si vous ne voyez pas de signes et de prodiges, vous ne croirez donc pas ! »

49 Le fonctionnaire royal lui dit : « Seigneur, descends, avant que mon enfant ne meure ! »

50 Jésus lui répond : « Va, ton fils est vivant. » L’homme crut à la parole que Jésus lui avait dite et il partit.

51 Pendant qu’il descendait, ses serviteurs arrivèrent à sa rencontre et lui dirent que son enfant était vivant.

52 Il voulut savoir à quelle heure il s’était trouvé mieux. Ils lui dirent : « C’est hier, à la septième heure, (au début de l’après-midi), que la fièvre l’a quitté. »

53 Le père se rendit compte que c’était justement l’heure où Jésus lui avait dit : « Ton fils est vivant. » Alors il crut, lui, ainsi que tous les gens de sa maison.

54 Tel fut le second signe que Jésus accomplit lorsqu’il revint de Judée en Galilée.

Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris


Commentaire de l’Évangile

Par Daniel Cadrin, o.p.

Nous étions à Cana, à la dernière chronique, avec Marie et les disciples, pour le premier signe de Jésus en Jean : l’eau changée en vin lors de la noce. Nous revenons à Cana pour le deuxième signe de Jésus en Jean : la guérison du fils d’un officier royal. Ce récit est moins connu que le premier, avec lequel Cana est identifié. Mais les deux récits à Cana finissent avec la même formule : tel fut le commencement des signes de Jésus (2,11); tel fut le second signe que Jésus accomplit (4, 54).

Entre les deux signes, que s’est-il passé? Jésus est allé brièvement à Capharnaüm, avec sa mère et ses disciples. Puis, avec ses disciples, il s’est rendu à Jérusalem pour la fête de la Pâque; il est intervenu de façon remarquée au Temple; il a rencontré le notable Nicodème. Avec ses disciples, il a quitté la Judée et traversé la Samarie, où il a eu un long entretien au puits avec une Samaritaine. Le voici de retour en Galilée, où il est bien reçu, pour l’instant. Après le second signe, Jésus retournera à Jérusalem pour une fête. Ainsi, nous ne sommes plus aux débuts de l’aventure, mais déjà en pleine cœur de celle-ci, avec ces déplacements, cette entrée fracassante au Temple de Jérusalem, et ces dialogues pour approfondir qui est Jésus et qui est Dieu.

Jésus retourne à Cana. Un officier royal vient le trouver, depuis Capharnaüm. Son fils (un enfant) est mourant et il veut que Jésus vienne avec lui à Capharnaüm pour le guérir. Cet officier travaille probablement pour le roi Hérode Antipas, tétrarque de Galilée (Mt 14,1; Lc 3,1). Il n’est pas précisé si ce fonctionnaire du roi est juif ou païen (non-juif); les deux sont possibles. Il insiste auprès de Jésus, car il est motivé : la vie de son fils est en jeu. Il y a un enjeu de mort et de vie. En cela, ce père ressemble à la Cananéenne (Mt 15, 21-28), une mère venue supplier Jésus de guérir sa fille. Et dans ces deux cas, la guérison se fait à distance, sans que Jésus se déplace.

Ce récit en rappelle aussi un autre, avec lequel il est parfois confondu : la guérison du serviteur du centurion (Mt 8, 5-13; Lc 7, 1-10). Des points sont communs : un officier, qui fait une demande à Jésus pour un proche; la guérison se fait à distance; la ville de Capharnaüm est mentionnée. Mais des différences sont nettes : il s’agit là d’un centurion, un officier militaire romain, qui est un païen; son serviteur ou esclave, et non son fils, est malade; cela se passe à Capharnaüm, non à Cana. Sans compter les différences entre Matthieu et Luc : entre autres en Luc, le centurion n’est pas présent en personne mais par délégués; son entretien avec Jésus, sans rencontre, se fait par des intermédiaires.

Dans les études bibliques, certains ont vu ces deux récits, de l’officier royal et du centurion romain, comme les variantes d’un même. Mais ils me semblent parler de deux figures et de guérisons distinctes, car les différences sont grandes et signifiantes. De même que les guérisons à proximité sont nombreuses, celles à distance n’ont pas à être limitées ou réduites à une seule; d’ailleurs, le récit de la Cananéenne l’illustre déjà.

Dans les trois cas (Jn, Mt, Lc), avec l’officier et le centurion comme aussi avec la Cananéenne, la foi de la personne est soulignée. C’est le plus important. Mais en Jean, cela prend une couleur particulière. Jésus met en contraste un croire lié à un voir avec un croire lié à la parole (v.48-50). L’officier croit à la parole de Jésus sans avoir vu le signe; quand celui-ci advient, il renforce le croire. En Mt et Lc, c’est un autre contraste de la foi qui est accentué, celui entre les juifs et les païens.

De plus, en Mt et Luc, le centurion ne vient pas chercher Jésus pour qu’il vienne dans sa maison : je ne suis pas digne, dit-il (Mt 8,8) Il demande à Jésus d’agir par la parole : dis un mot. Alors que l’officier en Jean veut amener Jésus à Capharnaüm pour qu’il guérisse son enfant. Et c’est là que son projet, bien pensé, est changé; son plan ne se réalise pas tel que prévu. Mais le but est atteint, autrement : son fils sera guéri sans que Jésus se déplace. Finalement, un déplacement advient mais il se passe chez l’officier, dans sa relation à Jésus en qui il fait confiance. L’officier ne commande plus, le contrôle des évènements n’est plus de son ressort. Et il se met en route (v.50).

Comme au premier signe à Cana, la finale met en relief l’expérience croyante. Après le signe du vin nouveau, ses disciples crurent en lui (2,11). Après le signe de la guérison du fils, l’officier crut, et toute sa maisonnée (4,53). Le croire ici s’élargit et inclut un nouveau réseau, social et familial, qui déborde le groupe plus restreint des premiers disciples de Jésus. Comme dans les récits sur la mission dans les Actes des Apôtres.

De plusieurs manières, nous pouvons nous laisser interpeller ou nous reconnaitre dans cette autre histoire de Cana. Ces plans que nous faisons et qui sont modifiés ou défaits mais qui nous apprennent à faire confiance. Ces initiatives qui nous lancent sur un chemin d’engagement car nous sommes motivés par la souffrance de gens proches. Ces lieux qui sont significatifs en nos vies, car des événements de fête et de guérison y sont advenus. Ces signes, petits et discrets ou plus frappants, qui nous amènent, avec d’autres, à croire. Quels mots et noms pourrais-je mettre sur ces plans et ces initiatives, ces lieux et ces signes? Où il s’agit d’un passage de la mort à la vie …

Images

Les images du récit de l’officier royal et son fils ne sont pas nombreuses ou fréquentes. Il est peu connu. Ce qui revient davantage, c’est celui du centurion et son serviteur. Les deux parfois sont confondus ou s’entremêlent. Ainsi une œuvre a comme titre (cf. plus loin) : la guérison du fils du centurion! Pour les distinguer, l’habit peut être un repère : habit plus civil pour l’officier du roi et de style militaire pour le centurion. Il s’agit alors du centurion en Matthieu car en Luc, il est invisible : ce sont ses envoyés qui parlent en son nom.

Des éléments d’architecture peuvent indiquer la ville (Cana ou Capharnaüm). Jésus est habituellement avec des disciples et l’officier accompagné de serviteurs ou gardes. Quelques personnes peuvent être présentes, suggérant les habitants du coin.

Voici quelques rares œuvres sur le 2ème signe à Cana, avec aussi quelques images plus proches du centurion à Capharnaüm.

  1. Miniature, 1506, Grande vie du Christ, f.162, Ms 5125, Bibliothèque municipale de Lyon, France. Écrit par Ludolphe le Saxon, un dominicain allemand entré en 1340 chez les Chartreux, cet ouvrage utilisant les quatre évangiles a eu beaucoup de succès et d’influence. Cette édition enluminée, du début du 16e siècle, est une traduction du latin au français, réalisée pour la duchesse de Lorraine. L’enlumineur, désigné comme le Maitre de Philippe de Gueldre (époux de la duchesse), utilise des couleurs intenses, dont le bleu. Ici, la miniature montre un homme âgé implorant Jésus. Il a plus l’air d’un notable que d’un centurion, mais il pourrait être l’un ou autre. Jésus s’adresse à lui. Plusieurs disciples, nimbés, l’accompagnent, dont Pierre plus visible. Une foule est présente, avec des personnages élégants. À l’arrière, un paysage et des feuillages.
  1. Paolo Véronèse, c.1571, Musée du Prado, Madrid, Espagne. Le grand peintre vénitien avait la vedette pour le 1er signe à Cana (chronique précédente). Ici, il s’agit du centurion, mais on peut lui faire une place. On retrouve la variété des figures, la splendeur des vêtements, des éléments architecturaux et la vitalité du mouvement d’ensemble.
  1. Joseph-Marie Vien, c.1750-1752, Musée des Beaux-Arts de Brest; 1752, Musée des Beaux-Arts de Marseille, France. Ce peintre de Montpellier, formé à Paris et Rome, a fait des scènes antiques dans un style néo-classique. Il a formé de nombreux artistes. Il fut le dernier peintre officiel du roi de France (Louis XVI) et survécut aux courants politiques successifs. Napoléon le fit même enterrer au Panthéon (le seul artiste). Ici, nous avons d’abord une esquisse qui servira pour un tableau de Marseille, plus bas, avec quelques variantes. L’originalité des deux tableaux est le titre officiel : Guérison du fils du centenier. C’est la synthèse des deux récits! Dans l’esquisse, l’habit de l’homme suppliant Jésus n’est pas évident; un militaire est derrière lui. Mais dans le tableau, il a l’air d’un centurion. On peut, comme jeu, identifier les différences entre les deux œuvres dans les personnages et les décors.
  1. James Tissot, c.1886-1894, Brooklyn Museum, États-Unis. Ce peintre français, qui a vécu en Terre Sainte, a illustré les scènes des évangiles avec une attention au contexte et au texte. Ici, nous avons enfin le récit en Jean. La scène se passe sur une place, dans un environnement animé, avec des gens occupés à diverses tâches et des curieux. Jésus est accompagné de disciples. L’officier et ses deux serviteurs sont vêtus avec éclat; l’homme supplie Jésus instamment. Jésus lui parle.
  1. Robert Theodore Barrett, 20e siècle, site churchofjesuschrist.org, Utah, États-Unis. Cet artiste américain a illustré plusieurs livres religieux. Il est membre de l’Église de Jésus-Christ des Saints-des-Derniers-Jours (Mormons). Père de dix enfants, il a enseigné les arts à l’Université Brigham Young. Ici, nous avons la rencontre entre Jésus et l’officier, vu de dos, qui fait sa demande à Jésus, attentif. Puis, nous avons une scène rarement représentée (Jn 4,51) : le père s’en retourne chez lui et ses serviteurs vont à sa rencontre pour lui annoncer que son fils vit. Une bonne nouvelle se met à circuler.
  1. Estrella Espero, 21e siècle, site parentandchildbiblereading.com, États-Unis. Ce site veut favoriser la lecture de la Bible entre parents et enfants. Il offre des textes et illustrations bibliques et d’autres outils. Ici, nous avons une image intéressante, qui montre bien le projet de l’officier : amener Jésus de Cana à Capharnaüm pour qu’il y guérisse son fils. Le transport est prêt à partir! Entre Cana, dont la localisation est soumise à plusieurs hypothèses, et Capharnaüm, bien identifiée, la distance peut varier entre 25 et 40 km. Mais avec Jésus, la distance n’a plus d’importance et ce bon plan va tomber.
  1. Icône, Église grecque-orthodoxe, site stparaskevi.org.au, Melbourne, Archidiocèse d’Australie. Cette icône comprend plusieurs éléments. À gauche, Jésus est avec ses disciples, Pierre et Jean en tête; il a un rouleau de la Parole en main. Au fond, la ville de Cana est évoquée par un édifice. Au centre, l’officier royal se tient droit, dignement et bien mis, pour présenter à Jésus sa demande; deux serviteurs l’accompagnent, indiquant de la main la situation. À droite, ce qui est assez unique, le motif de la demande est montré : le fils mourant, dans la grande demeure de Capharnaüm; et la route qui y mène. Mais le fils reprend vie. Et nous, avec lui …

Daniel Cadrin, o.p.


​Dessin à tracer et à colorier

Ci-dessous un dessin simplifié à tracer et à colorier, un montage librement inspiré d’images traditionnelles chrétiennes.

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Rencontres avec Jésus – Marie à Cana

Illustration : Adaptation numérique d’une ancienne fresque

Une nouvelle invitation à rencontrer Jésus, au travers du regard de Marie.

MARIE À CANA, ATTENTIVE ET CONFIANTE : Jean 2, 1-12

Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean – Chapitre 2

01 Le troisième jour, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là.

02 Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples.

03 Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. »

04 Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. »

05 Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. »

06 Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ; chacune contenait deux à trois mesures, (c’est-à-dire environ cent litres).

07 Jésus dit à ceux qui servaient : « Remplissez d’eau les jarres. » Et ils les remplirent jusqu’au bord.

08 Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent.

09 Et celui-ci goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau. Alors le maître du repas appelle le marié

10 et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. »

11 Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.

12 Après cela, il descendit à Capharnaüm avec sa mère, ses frères et ses disciples, et ils demeurèrent là-bas quelques jours.

Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris


Commentaire de l’Évangile

Par Daniel Cadrin, o.p.

Le commentaire qui suit a paru dans la chronique Marie des Écritures de la revue Notre-Dame-du-Cap, juillet-août 2022, p.12 : « Notre-Dame de la Fête ». Je parle de Marie, mais dans l’Évangile de Jean, elle est appelée « la mère de Jésus », sans nom.

… La mère de Jésus est invitée à une noce à Cana, près de Nazareth. Jésus est aussi présent, avec ses disciples. Mais c’est Marie qui est d’abord mentionnée : c’est elle qui a la connexion pour cette invitation!

Marie, femme d’initiative

C’est la première fois que Marie apparaît dans l’Évangile de Jean. Jésus va accomplir son premier signe. La prochaine fois, Marie sera au pied de la croix, pour le signe ultime (Jn 19, 25-27). Mais ce premier signe, changer l’eau en vin, Jésus ne l’accomplit pas de lui-même avec empressement. C’est Marie qui prend l’initiative. Elle est attentive et remarque qu’on manque de vin. Et elle le dit à Jésus comme un appel : regarde, fais quelque chose, c’est une noce et le vin manque! 

Jésus lui répond que son heure n’est pas venue. Mais Marie continue d’être proactive. Elle dit aux servants de faire de ce que Jésus dira. Elle ne se contente pas de la remise à plus tard. Pour elle, l’heure de la nouveauté, c’est maintenant. Les gens sont en besoin et Marie ose faire confiance : du neuf peut advenir, la réalité n’est pas figée dans le manque. Puis Jésus va passer à l’action.

Marie, femme de l’Alliance nouvelle

L’eau changée en vin provient des jarres de purification : c’est une façon de parler de l’Alliance ancienne. L’eau devient du vin : l’Alliance est renouvelée. Et le signe est réjouissant : c’est un vin très abondant et de grande qualité. Les noces, la fête, le vin : ce signe annonce que Dieu va se faire proche dans son Messie Jésus et son Alliance nouvelle. Son règne sera joie et communion en abondance. Et c’est Marie qui donne l’heure juste à Jésus. Le rôle de ce premier signe est indiqué à la fin du récit : aider les disciples de Jésus à croire en lui. Pour que le noyau premier se constitue, qui deviendra une communauté. Marie participe, ici aussi, à la naissance de l’Église.

Marie voit les besoins des gens et elle fait confiance en Jésus. Elle nous invite à porter attention aux situations et à miser sur les capacités de changement. À quelle personne ou quel groupe pourrais-je faire voir un besoin, dans la confiance en son action? Et qu’est-ce qu’il nous faudrait commencer maintenant, sans plus attendre, qui serait signe de vie nouvelle?

Sainte Marie, Notre-Dame de la Fête, apprends-nous à faire notre part pour que des signes de joie et d’amitié adviennent dans nos milieux et familles. Et aide-moi à reconnaître les signes autour de moi pour que ma foi en Jésus grandisse. Amen.

Images

Les images de ce récit sont très nombreuses et se retrouvent aux diverses époques, déjà depuis l’Antiquité. C’est un sujet intéressant à mettre en scène, à rendre visible : une noce et des invités, un repas festif et du vin abondant, des éléments symboliques, avec Marie et Jésus au centre. Différents aspects peuvent être soulignés, auxquels porter attention.

Le cadre de la noce peut être plus ou moins développé : le lieu et son environnement, le nombre d’invités et d’intervenants, la table et les mets offerts, les objets nécessaires à cette fête et au signe, … Le moment du récit à montrer peut varier, entre l’initiative de Marie et son échange avec Jésus, le travail des serviteurs avec Jésus, la gustation du vin nouveau et les réactions, l’effet du signe sur les disciples.

Les personnages centraux sont Marie et Jésus, mais plusieurs autres sont mentionnés : le couple qui se marie, les serviteurs, le maître du repas, les convives, les disciples de Jésus. On peut tous les inclure ou se concentrer davantage sur quelques uns. Prenant aussi en compte le cadre de la noce et le moment du récit.

Le signe accompli produit une grande abondance : les six jarres d’eau deviennent du vin, soit de 500 à 700 litres! Il y avait peut-être beaucoup de monde à cette noce! En plus, ce n’est pas de la piquette mais du vin de grande qualité. Cela parle du passage de l’Alliance ancienne à la nouvelle, du Règne de Dieu et de la vie qu’il donne en qualité et abondance; rien de mesquin mais la générosité. Le bon vin de la fête annonce les derniers temps, le grand banquet, où Dieu invite tous les peuples autour de la table pour une fête avec des vins capiteux (Is 25,6). Comment exprimer toute cette dimension symbolique des Écritures, la faire pressentir visuellement? C’est le défi de l’art sacré.

Voici diverses œuvres qui ont fait des choix, en regard du cadre, du moment, des personnages et des symboles, pour essayer de rendre visible cette sainte histoire.

  1. Sarcophage, c.300-325, Musée Pio Christiano, Vatican, Italie. Le récit de Cana est fréquemment représenté dans les sarcophages des chrétiens des premiers siècles, où se trouvent les premières œuvres d’art chrétien. Celui-ci comprend plusieurs scènes de la vie de Jésus et de l’Ancien Testament. On trouve habituellement aussi la multiplication des pains : ainsi jarres de vin et paniers de pain, évoquant l’eucharistie. Deux personnages sont retenus : Jésus et le maitre du repas, autour des jarres. Les deux ont un rouleau en main gauche, signe de leur autorité. Les jarres sont petites et Jésus a aussi en main droite le bâton du thaumaturge, indiquant sa puissance d’accomplir des miracles : ces deux éléments seront modifiés par la suite. Sa figure est celle d’un jeune homme, comme dans les œuvres de cette époque.
  1. Miniature, c.1000, Évangéliaire d’Otton III, Bayerische Staatsbibliothek, Munich, Allemagne. Ce manuscrit enluminé a été fait par le scriptorium de l’Abbaye de Reichenau pour Otton III, le jeune empereur du Saint Empire. Dans cette miniature, presque tous les personnages sont présents. Jésus à la table, Marie devant lui, le serviteur avec les six jarres alignées; aussi à table, le marié et la mariée et le maitre de repas. Les disciples ne sont pas présents : seuls Marie et Jésus sont nimbés. La figure de Jésus reprend celle de l’Antiquité.
  1. Giotto di Bondone, fresque, c.1304-1306, Chapelle Scrovegni, Padoue, Italie. Cette scène de Cana fait partie des 53 fresques, dont 23 sur la vie du Christ, que Giotto et ses assistants ont réalisées à Padoue. Cet ensemble est considéré comme la grande œuvre de Giotto et une œuvre majeure dans l’art occidental. Avec des personnages humains et expressifs, dans une approche artistique innovatrice. Le marié est au centre, entre son épouse et Marie. Le mariage est ainsi mis en valeur et soutenu par la présence de Jésus et Marie; cela exprime une position théologique. La présence de Jésus à gauche est plus discrète que celle de sa mère. Les deux sont nimbés ainsi qu’un disciple âgé (Pierre, Nathanaël?). Jésus semble bénir le repas. À droite, à l’avant, le serviteur avec les jarres; puis le maitre du repas, rondelet, qui apprécie le bon vin; cela ajoute une touche d’humour à la scène!
  1. Vitale da Bologna, fresque, c.1360-1361, abbaye Pomposa, Codigoro, Italie. Ce peintre de Bologne, marqué par Giotto et Martini, a réalisé avec son atelier un vaste ensemble de fresques sur les Écritures et les saints dans l’église de ce monastère bénédictin près de Ferrare. Ici, presque tous les éléments du récit sont intégrés. À droite, Marie indique à Jésus le besoin; celui-ci a les bras levés pour intervenir. Les serviteurs remplissent les jarres. À gauche, le maitre du repas goute le vin et commente. Au centre, les mariés semblent plus concentrés sur l’un et l’autre que sur le repas. Ils sont nimbés, faisant écho à des courants médiévaux les identifiant comme Jean l’apôtre et Marie Madeleine, Jean ayant la même figure qu’en d’autres fresques. Cette possible union choquera et sera critiquée au 16e siècle, après le Concile de Trente et le plus grand contrôle ecclésial sur les images. Contrairement aux idées courantes, ce contrôle était moindre au Moyen Age; l’époque moderne est plus stricte.
  1. Juan de Flandres, 1500, Metropolitan Museum of Art, New York, États-Unis. Ce peintre flamand, formé probablement à Ghent, a travaillé en Espagne à la cour de la reine Isabelle de Castille. Son style est sobre et élégant, avec le sens du détail. Cette œuvre fait partie du Polyptique d’Isabelle la catholique, retable qui comprenait 47 petits panneaux qui ont été dispersés ou perdus. L’encadrement est très géométrique et tout le monde se tient droit. L’ambiance est un peu rigide; ce n’est pas l’aspect festif de la noce qui ressort ! À gauche, Jésus bénit et Marie le regarde; au centre, le couple; à droite, le maître du repas et un serviteur avec les jarres. Marie et la mariée ont les mains jointes. La table est dégarnie; il n’y a pas encore de couverts. Au mur du fond, se trouve un miroir, fréquent dans l’art flamand. À l’extérieur, à gauche, est-ce un disciple ou le peintre lui-même?
  1. Paolo Caliari dit Veronèse, 1563, Musée du Louvre, Paris, France. Ce peintre de Vérone s’installe à Venise en 1553. Il aura par la suite une influence sur la peinture comme telle. Cette œuvre est sa plus célèbre. Cet immense tableau (6.77 × 9.94 m), fait pour le réfectoire d’un monastère bénédictin de Venise, y a été enlevé par l’armée de Napoléon en 1797 (depuis 2007, s’y trouve une copie de même taille). Il comprend 130 personnages, avec des expressions diverses : ici, les abondants litres de vin ont pu être tous utilisés! Au centre, Jésus préside avec Marie : les deux sont nimbés et Marie indique du doigt son verre vide. Des disciples sont proches. À gauche, en avant au bout de la table, les nouveaux mariés et le maitre du repas debout devant eux; la mariée nous regarde. À droite, les jarres; en avant au centre, les musiciens et leurs instruments de l’époque. Ici et là, des serviteurs au travail. À noter : la richesse et la variété des vêtements, d’occident et d’orient. Plusieurs personnages sont des figures historiques du monde politique, religieux et artistique. L’encadrement architectural comprend des éléments de l’Antiquité et de la Renaissance, avec un ciel ouvert au fond. C’est très animé; des gens sont en mouvement, en haut sur les côtés et au milieu. C’est vraiment une fête, une noce joyeuse. Mais aussi avec des indications de ce qui viendra : au-dessus de la tête de Jésus, un agneau est découpé; près des musiciens, un sablier. Cette fête ne sera pas sans fin.
  1. Julius Schnorr von Carosfeld,1819, Musée Kunsthalle de Hambourg, Allemagne. Cet artiste de Leipzig, formé à Vienne, vient d’une famille de peintres. Luthérien engagé, il a fait partie du mouvement nazaréen, né à Vienne, marqué par la Renaissance et le souci d’un renouveau de l’art religieux; ce mouvement artistique et spirituel regroupait des protestants et des catholiques. Carosfeld a fait une Bible en images. Dans cette œuvre de jeunesse (25 ans), les six jarres sont bien alignées à l’avant. Jésus, entouré de Marie et Jean, s’adresse aux serviteurs. Au centre, deux disciples, l’un debout et l’autre à genoux (Pierre?). À droite, les nouveaux mariés littéralement trônent, le maître du repas à leur côté; à l’avant, les musiciens. Le cadre est enchanteur : une architecture ouverte, avec des montagnes à l’arrière et des feuillages au centre. Les convives sont nombreux et bien mis, mais sérieux; c’est festif mais dans la dignité!
  1. Vladimir Makovski, 1887, Musée Régional de Vitebsk, Biélorussie. Cet artiste de Moscou, où il a été formé, vient aussi d’une famille de peintres. Il a enseigné à Saint-Pétersbourg. Avec réalisme et vivacité, et incluant une critique sociale, ses oeuvres montrent la vie du peuple et des événements qui l’affectent. Elles étaient admirées de l’écrivain Dostoïevski, qui appréciait son amour de l’humanité. Dans celle-ci, la scène se passe à l’extérieur de la maison et de sa terrasse. Jésus intervient auprès d’un serviteur, occupé aux jarres; un puits ouvert est tout proche. Marie est derrière Jésus; le maitre du repas est devant lui, bien droit et bien mis. Convives, disciples et serviteurs sont présents. À l’entrée, des chaussures sont déposées. Comme dans l’œuvre précédente, le cadre allie architecture et nature, avec des arbres et feuillages.
  1. Arcabas, 1999, Sanctuaire Notre-Dame-de-la-Salette, La Sallette-Fallavaux (Isère), France. Dans ce sanctuaire marial, haut-lieu de pèlerinage, le grand artiste chrétien a fait plusieurs œuvres sur une période de vingt ans. Celle-ci, magistrale, est située dans l’allée latérale droite. Elle comprend plusieurs scènes et inclut les divers éléments du récit de Cana. En haut au centre, Jésus avec une coupe de vin préside le repas et bénit; à droite, debout, Marie esquissant un sourire et les jeunes mariés, très élégants; à gauche, un disciple. En bas, Marie donne les consignes aux serviteurs, avec un enfant présent; ceux-ci remplissent les jarres; puis le maitre du repas goûte le vin. S’il y avait une autre scène, qui y mettrions-nous?
  1. Inconnu, 2016, site chrétiensaujourd’hui.com, Lyon, France. Ce site, crée en 2010 par un groupe de chrétiens de Lyon et rattaché aux Éditions Yeshoua, offre divers documents et outils sur la Bible et la vie chrétienne. Ici, pour Cana, dans une version moderne, nous avons un joyeux banquet de noce, dans une grande salle, avec les mariés au fond et, en haut à droite, les musiciens. Les convives sont nombreux, répartis en plusieurs tables. À gauche, le groupe des disciples; à droite, un serviteur et d’immenses jarres; les nombreux serviteurs portent un même habit vert. Et au centre, debout dans l’allée, Jésus et Marie. Le maître du repas est peut-être à la table de droite. En fond de scène, les grandes fenêtres laissent voir le paysage. Le vin circule et l’ensemble est très vivant.
  1. Lyuba Yatskiv, icône, 2017, site iconart.com, Ukraine. Originaire de Lviv et formée en art sacré, qu’elle enseigne, cette iconographe est membre de l’Église gréco-catholique ukrainienne. Son approche, tout en s’inscrivant dans la tradition, est innovatrice, entre autres par le choix des couleurs et le dessin. Une de ses icônes de Marie Mère de Dieu était dans la cathédrale Notre-Dame-de-Paris. Ici, le rouge du vin prédomine (coupes, jarres, vêtements, fond). Les mariés sont couronnés, selon la tradition orthodoxe. Les mains sont centrales : celles du couple sont unies et portent la coupe; par elles, Marie s’adresse à Jésus et montre le manque; avec elles, Jésus intervient et bénit. À droite, la main du maître du repas indique l’interrogation; celles de disciples portent la coupe; à gauche, un serviteur tient en main une jarre d’eau.
  1. Pierre Lussier, pastel, 2021, Faites tout ce qu’il vous dira, site racef.art, Canada. Cet artiste de Québec, membre du Racef, est apparu déjà dans cette chronique. Ici, approche plus rare pour Cana, nous avons seulement les deux figures principales, Jésus et Marie, en plus de grandeur nature. Sans décors ni objets, sauf les fleurs de la fête et les couleurs (rouge et bleu) célébrant leur alliance. Jésus regarde Marie, qui regarde ce qui se passe, avec attention et confiance. Les deux sont liés par le toucher de la main. L’artiste dit de Marie et de Jésus : C’est comme si elle voyait ce que lui-même n’a pas encore découvert. À nous d’ouvrir nos yeux, sur nous-mêmes et sur les autres, et sur l’année nouvelle qui commence …

Daniel Cadrin, o.p.


​Dessin à tracer et à colorier

Ci-dessous un dessin simplifié à tracer et à colorier, librement inspiré d’une ancienne fresque.

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