Rencontres avec Jésus – Le sourd-muet

Illustration librement inspirée d’une icône russe

Une nouvelle invitation à rencontrer Jésus, au travers de la guérison du sourd-muet!

À L’ÉCART, UN SOURD QUI S’OUVRE : Marc 7, 31-37

Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc – Chapitre 7

31 Jésus quitta le territoire de Tyr ; passant par Sidon, il prit la direction de la mer de Galilée et alla en plein territoire de la Décapole.

32 Des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler et supplient Jésus de poser la main sur lui.

33 Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue.

34 Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! »

35 Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia, et il parlait correctement.

36 Alors Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne ; mais plus il leur donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient.

37 Extrêmement frappés, ils disaient : « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. »

Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris


Commentaire de l’Évangile

Par Daniel Cadrin, o.p.

Dans les Évangiles, Jésus rencontre et guérit plusieurs personnes : des aveugles, des boiteux, des paralytiques, des lépreux, des muets. En Matthieu 15, 29-31, il est mentionné, en général, que Jésus guérit ces gens. En Mt 9, 32-34, il libère un muet qui se met à parler; en 12, 22, il guérit un aveugle-muet qui se met à parler et à voir. Mais qu’en est-il des sourds? En Mc 9, 17-29, Jésus libère un enfant possédé par un esprit sourd et muet; mais l’accent est mis sur la question de l’esprit impur. Finalement, c’est dans un récit propre à Marc (7, 31-37) que Jésus rencontre et guérit un sourd, qui parle difficilement. À la fin (v.37), les gens disent à propos de Jésus : « Il fait entendre les sourds et parler les muets ». Cela réfère à Isaïe (35, 4-6), annonçant le salut de Dieu qui vient.

Cette scène de guérison se passe à la frontière, en terre païenne (Sidon). Au centre du récit, se trouve la rencontre personnelle, à l’écart, entre Jésus et le sourd-muet. Comme il arrive fréquemment en Marc, plus que dans les autres évangiles, le contact physique de Jésus avec le corps des personnes en difficulté est souligné : il touche ses oreilles et sa langue, là où sont les blocages. Et voici que la communication est rendue possible, l’homme est délivré des liens qui le retenaient prisonnier en lui-même. Cette transformation lui permet, à l’époque, de redevenir pleinement membre de la communauté sociale et religieuse. Jésus accomplit un signe de libération, redonnant à quelqu’un sa dignité et sa place, transformant sa vie.

Cette guérison est pour Jésus un travail qui demande prière et effort. Il lève les yeux au ciel et il soupire, il gémit. Ce n’est pas un geste automatique et indifférent mais un engagement personnel, dans une rencontre intime avec l’autre. L’expression araméenne Ephphata, appelant à l’ouverture, est encore utilisée aujourd’hui dans la liturgie du baptême.

La recommandation finale, celle de la discrétion, se situe et se comprend à l’intérieur de l’ensemble de l’évangile de Marc, où l’identité messianique de Jésus est dévoilée progressivement. Jésus n’est pas seulement un guérisseur et il n’est pas une figure messianique de style royal. Le sommet de la révélation sera sur la croix. Pour éviter les ambiguïtés dans l’interprétation des signes, Marc invite à ne pas s’énerver trop vite et à poursuivre le parcours jusqu’au bout.

En Marc, ce récit est situé dans une section montrant le cheminement des disciples, qui ont de la difficulté à voir, à entendre et à témoigner. Les diverses guérisons disent la compassion de Jésus envers des personnes souffrantes mais aussi elles suggèrent les transformations auxquelles les disciples sont appelés. Devenir disciple de Jésus, c’est apprendre à écouter et à parler. Et cela se fait dans une rencontre personnelle avec Jésus le vivant, loin des foules.

Nous pouvons nous reconnaître dans ce sourd-muet et dans les disciples bloqués. Qu’est-ce qui nous empêche d’entendre les voix près de nous et au loin et de dire des paroles de vie? Qu’est qui bloque notre communication? À quelle ouverture Jésus nous appelle-t-il, par-delà nos surdités et nos mutismes, personnels et communautaires, familiaux et sociaux?

Peut-être avons-nous sur les oreilles des écouteurs qui ne répètent que nos propres mots et nous empêchent d’écouter les autres? Peut-être avons-nous sur la bouche un micro fermé où nous ne faisons que murmurer des sons inaudibles, ne parlant que de nous-mêmes? Ou peut-être simplement hésitons-nous à nous éloigner des foules pour entrer plus profondément en cet espace sacré où nous pourrions être touchés par celui qui fait entendre et parler.

Parfois, comme le sourd-muet, il faut nous laisser amener au Verbe de vie, par d’autres qui ont à cœur notre santé spirituelle. Il vaut la peine de leur faire confiance. Le Dieu vivant, que Jésus montre à l’œuvre, n’est pas un bureaucrate blasé ou un parent possessif. Il nous veut debout, capables de marcher et de voir, mais aussi d’entendre et de parler, dans la communauté humaine. Cela est réjouissant.

Comme le rappelait le pape François (Audience du 12 décembre 2023) : « Dans le baptême, le célébrant dit, en touchant les oreilles et les lèvres du baptisé : ‘Que le Seigneur Jésus, qui fait entendre les sourds et parler les muets, t’accorde d’entendre bientôt sa parole et de professer ta foi.’… Nous aussi, qui avons reçu l’effatà de l’Esprit dans le baptême, nous sommes appelés à nous ouvrir. »

Images

Les images de cette guérison ne sont pas surabondantes. Mais cet évangile est celui du 23e dimanche de l’Année B. Ainsi, dans les séries d’images qui couvrent le cycle de l’année liturgique, on peut le retrouver. Nous en verrons quelques unes dans celles présentées.

Par ailleurs, sur des sites où cet évangile est commenté, l’image associée au récit est parfois celle d’une autre guérison : un aveugle, un lépreux, un muet, etc. Il ne suffit pas que Jésus soit à l’écart avec un malade pour qu’il s’agisse de la guérison du sourd. Un autre critère est nécessaire : Jésus lui touche les oreilles et la langue.

Jésus voyage avec ses disciples; des gens amènent le sourd à Jésus; une foule est présente et réagit à la fin. Ces groupes peuvent être montrés, à proximité de l’évènement ou plus à distance. Dans certaines œuvres, on ne voit que Jésus et le sourd.

Jésus est montré dans son action guérissante, touchant le sourd. Celui-ci est habituellement un jeune homme. La scène se passe en territoire païen, vers la mer de Galilée, sans indication précise du lieu : ce contexte est rarement développé.

Voici quelques œuvres, du 9e au 21e siècle, de la Suisse à la Suisse.

  1. Meister von Müstair, fresque, c.830, Église de l’Abbaye Saint-Jean, Müstair, Suisse. L’église de ce monastère bénédictin, dans la vallée des Grisons, contient un ensemble de fresques bibliques, bien conservées, qui est unique pour l’époque carolingienne. Les deux disciples, à gauche, sont près de Jésus; à droite, une foule qui exprime son étonnement. Au centre, Jésus, nimbé et tourné vers nous, touche la langue du sourd-muet de sa main droite; sa main gauche tient le rouleau de la Parole. Le jeune homme, en mouvement, est penché vers Jésus.
  1. Mosaïque, 1315-1321, Église Saint-Sauveur-in-Chora, Istanbul, Turquie. Dans cette église de Constantinople, au nom ancien de Byzance, les nombreuses mosaïques montrent l’art byzantin à son sommet. Après la prise de la ville par l’Empire ottoman, qui en fait Istanbul, l’église devint une mosquée (1510) et les mosaïques furent recouvertes de chaux. En 1948, elle devint un musée et les mosaïques furent restaurées. En 2020, le Président Erdogan en a fait à nouveau une mosquée. Jésus et les deux disciples, Pierre et Jean, sont en mouvement, tournés vers le sourd, un jeune homme, avec sac et bâton, qui touche lui-même son oreille. Jésus, le Seigneur, bénit d’une main et tient dans l’autre le rouleau de la Parole.
  1. Miniature, 15e siècle, Codex Vindobonensis Palatinus 485,folio 86, Bibliothèque nationale autrichienne, Vienne, Autriche. Ce manuscrit, une vie illustrée de Jésus Christ, contient des extraits des Évangiles et des Actes, en langue tchèque, avec sous-titres en latin. Le style des miniatures est celui de la Bohème. Les disciples, nimbés et nombreux, sont proches de Jésus; Pierre tient précieusement en main un livre rouge, Jacques et Jean à ses côtés. La foule, nombreuse et chapeautée, accompagne le jeune sourd, qui a un bâton. Jésus, élégamment nimbé, touche son oreille et sa langue. Un arbre et quelques édifices sur un escarpement évoquent le lieu.
  1. Bartholomeus Breenbergh, 1635, Musée du Louvre, Paris, France. Ce peintre hollandais a travaillé à Rome, puis à Amsterdam. Il a abondamment peint les paysages italiens et les ruines antiques. Il y a beaucoup de monde dans ce tableau! Mais les gens à l’écart, à gauche, bien visibles, ne sont pas Jésus et le sourd mais une famille. Jésus, à droite, est entouré d’une foule et lève la tête vers le ciel; le sourd est agenouillé, avec son bâton par terre. D’autres figures de guérison sont présentes dans la scène : à l’avant un paralytique; près de Jésus, une femme aveugle et guidée. L’environnement est ici imposant et premier; c’est peu dire! Mais il est d’ailleurs : les ruines s’inspirent de celles de la Villa de Mécène, à Tivoli, près de Rome.
  1. Icône, 1908, Musée d’Art Radichtchev, Saratov, Russie. Cette icône a été commandée pour une école de sourds-muets; son iconographe est inconnu mais elle est datée. Saratov est une ville au sud-ouest de la Russie. En haut, se trouve le titre : La guérison du sourd-muet. En bas : de Marc chapitre 7 verset 31; les chiffres sont écrits en lettres cyrilliques. Le sourd est un jeune garçon; il tient une fleur dans la main droite, ce qui est singulier. Jésus, dont l’expression est plus douce que dans les Pantocrator habituels, a les yeux tournés vers le ciel et touche la langue et l’oreille du garçon. Les trois apôtres, Pierre, Jean et Jacques, sont derrière Jésus. En haut, à droite et à gauche, sont nichés deux saints dont les noms sont écrits mais qui restent à identifier.
  1. Steve Erspamer, 1993, Clip Art for the Year B, Liturgy Training Publications, Chicago, États-Unis. Cet artiste américain, qui a été un marianiste (s.m.) pendant trente années, est devenu bénédictin (o.s.b.) en 2005, à l’Abbaye de St. Meinrad en Indiana. Il y a pris le nom de frère Martin. Ses illustrations des évangiles, d’inspiration médiévale, couvrent tout le cycle liturgique des trois années. Jésus et le sourd sont seuls. Les deux sont pieds-nus. L’homme est agenouillé et plus âgé que les sourds habituels. Mais la guérison de sa surdité ne fera pas nécessairement repousser ses cheveux!
  1. Cerezo Barredo, 1999, site missale.net. Ce claretain (c.m.f.) espagnol a vécu dans plusieurs pays d’Amérique latine. Son oeuvre met en relief le peuple, ses espoirs et ses luttes. Il a été surnommé le peintre de la libération. Il a illustré tous les dimanches du cycle liturgique. La foule est présente, à gauche, au bord du lac, dans un paysage de montagnes. Jésus est à l’écart de la foule, avec le jeune homme sourd, dont il touche la langue et l’oreille.
  1. Elisabeth Wang, c.2000, site radiantlight.org.uk, Angleterre. Cette artiste britannique s’est convertie au catholicisme en 1968, quand elle était jeune adulte. Elle est décédée en 2016. Ses scènes bibliques ont des couleurs vives et des lignes simples. Ici, on ne voit que les deux figures de Jésus et du sourd, allongées et vêtues de tuniques. Aucun autre élément n’est ajouté. Jésus touche la langue et l’oreille, dans l’harmonie des couleurs.
  1. Richard Caemmerer, 21e siècle, site grunewaldguild.com, Leavenworth, État de Washington, États-Unis. En 1980, avec son épouse Liz, cet artiste et professeur en art, décédé en 2016, a fondé le Grünewald Guild. Ce centre, situé en campagne, offre des activités (ateliers, retraites, formations, …) portant sur les relations entre l’art, la foi et la communauté. On voit ici deux visages, expressifs, au regard intense, avec ombres et lumières; et les mains fortes de Jésus qui ressortent.
  1. Robert Theodore Barrett, 21e siècle, site achristianpilgrimage.wordpress.com, États-Unis. Cet artiste américain a illustré plusieurs livres religieux. Il est membre de l’Église de Jésus-Christ des Saints-des-Derniers-Jours (Mormons). Père de dix enfants, il a enseigné les arts à l’Université Brigham Young du Utah. La scène est située dans un cadre de route; le lac est proche. Jésus touche la langue et l’oreille du sourd, un homme adulte, qui le regarde. Les deux sont vêtus avec les mêmes couleurs.
  1. Ganesh Kelagina Shenoy, c.2015, site artist-ganesh-shenoy.tumblr.com, États-Unis. Cet artiste originaire de Mangalore, dans l’Inde du Sud, réside au Qatar. Il est membre de la Société théosophique. Son style s’inspire de l’expressionisme et des mosaïques. Le sourd, agenouillé, est vu de dos. Jésus, nimbé, lui touche les oreilles. Là aussi, les deux figures portent les mêmes couleurs.
  1. Berna, 2019, site évangile-et-peinture.org, Suisse. Les œuvres de Bernadette Lopez couvrent tous les dimanches du cycle liturgique, avec un grand sens des couleurs. Elle apparaît fréquemment dans cette chronique. On ne voit que le sourd, aux yeux grand-ouverts, et les mains de Jésus, vêtu de bleu. Celui qui va entendre et parler est un homme âgé, comme l’indiquent sa barbe et ses cheveux, dont le blanc s’allie à celui des ongles de Jésus. À tout âge, l’ouverture, l’effatà, est possible …

Daniel Cadrin, o.p.


​Dessin à tracer et à colorier

Ci-dessous un dessin simplifié à tracer et à colorier, librement inspiré d’une ancienne icône russe.

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Rencontres avec Jésus – Sur les bords de la mer de Tibériade

AU BORD DU LAC, LE GROUPE DES SEPT : Jean 21, 1-19

Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean – Chapitre 21

01 Après cela, Jésus se manifesta encore aux disciples sur le bord de la mer de Tibériade, et voici comment.

02 Il y avait là, ensemble, Simon-Pierre, avec Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), Nathanaël, de Cana de Galilée, les fils de Zébédée, et deux autres de ses disciples.

03 Simon-Pierre leur dit : « Je m’en vais à la pêche. » Ils lui répondent : « Nous aussi, nous allons avec toi. » Ils partirent et montèrent dans la barque ; or, cette nuit-là, ils ne prirent rien.

04 Au lever du jour, Jésus se tenait sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était lui.

05 Jésus leur dit : « Les enfants, auriez-vous quelque chose à manger ? » Ils lui répondirent : « Non. »

06 Il leur dit : « Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. » Ils jetèrent donc le filet, et cette fois ils n’arrivaient pas à le tirer, tellement il y avait de poissons.

07 Alors, le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : « C’est le Seigneur ! » Quand Simon-Pierre entendit que c’était le Seigneur, il passa un vêtement, car il n’avait rien sur lui, et il se jeta à l’eau.

08 Les autres disciples arrivèrent en barque, traînant le filet plein de poissons ; la terre n’était qu’à une centaine de mètres.

09 Une fois descendus à terre, ils aperçoivent, disposé là, un feu de braise avec du poisson posé dessus, et du pain.

10 Jésus leur dit : « Apportez donc de ces poissons que vous venez de prendre. »

11 Simon-Pierre remonta et tira jusqu’à terre le filet plein de gros poissons : il y en avait cent cinquante-trois. Et, malgré cette quantité, le filet ne s’était pas déchiré.

12 Jésus leur dit alors : « Venez manger. » Aucun des disciples n’osait lui demander : « Qui es-tu ? » Ils savaient que c’était le Seigneur.

13 Jésus s’approche ; il prend le pain et le leur donne ; et de même pour le poisson.

14 C’était la troisième fois que Jésus ressuscité d’entre les morts se manifestait à ses disciples.

15 Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes agneaux. »

16 Il lui dit une deuxième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment ? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le pasteur de mes brebis. »

17 Il lui dit, pour la troisième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Pierre fut peiné parce que, la troisième fois, Jésus lui demandait : « M’aimes-tu ? » Il lui répond : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes brebis.

18 Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. »

19 Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. Sur ces mots, il lui dit : « Suis-moi. »

Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris


Commentaire de l’Évangile

Par Daniel Cadrin, o.p.

Les Douze accompagnent Jésus dans son ministère et y collaborent. Mais, à la toute fin de l’Évangile de Jean, nous avons une rencontre de Jésus avec les Sept. Voici un long récit, autour d’une histoire de pêche. Il commence en mer (dans la Bible, un lieu de danger), la nuit, avec une pêche qui échoue : la mer, la nuit, l’échec. Il nous montre des visages précis (Pierre, Nathanaël, …), qui forment un groupe de sept : des pêcheurs au travail, qui ont des liens entre eux et partagent une histoire commune. Et puis vient le matin, par-delà la nuit, et un inconnu est présent sur le rivage. A son appel à jeter le filet, le groupe tente un nouvel essai de pêche; cette fois-ci, c’est la surabondance de poissons, et le filet résiste.

Mais cela ne s’arrête pas là : il y a un feu sur la grève, avec du poisson et du pain. L’inconnu est reconnu : c’est le Seigneur ressuscité qui prépare le repas pour ses amis. Ce repas est suivi d’un dialogue entre Jésus et Pierre sur l’amour et la responsabilité du pasteur. Puis il est question d’un abandon à accepter et du don de soi jusqu’au bout. Enfin, une finale, claire, qui dit tout : suis-moi.

Voici un récit long et vif, chargé d’allusions et de symboles (mer, barque, pêche, pain, repas, ceinture) qui vient en appendice à la fin de l’évangile de Jean. Une fin qui est un commencement. Un récit de transition, entre le départ de Jésus et la mission des disciples. Il est significatif qu’ils soient retournés à leur ancien métier, en Galilée, là où l’aventure avait commencé, quand Jésus était venu les appeler à le suivre, en plein milieu de leur travail de pêcheur. Ils sont retournés en arrière, s’imaginant peut-être que l’affaire Jésus, cela ne les concernait plus. Mais Jésus va les chercher à nouveau, les ré-appeler, en plein coeur de leur vie. C’est un nouveau commencement, pour une mission universelle (153 poissons).

Il y a aussi allusion au passé récent, à la triple trahison de Pierre : m’aimes-tu, répété trois fois. Mais du triple reniement, on passe à une responsabilité : Pierre est chargé de mission, pour les petits (agneaux) et les grands (brebis) qui ne sont pas à lui mais au Christ (mes). Il y a du nouveau dans la vie de ces disciples. Le Jésus inconnu sur la rive, qui les attend, c’est plus que Jésus l’homme de Nazareth : c’est l’Emmanuel, le Seigneur avec nous tous les jours, qui nous devance et continue de nous appeler. Suis-moi : cette fois-ci, on va aller plus loin encore, et ce ne sera pas facile. Tu ne pourras plus contrôler ta vie comme avant, un autre te ceindra. Expérience d’abandon et de confiance, qui s‘apprend tout au long d’une vie; apprendre à s’en remettre à d’autres que soi et à un Autre.

Et nous dans tout cela? Comme dans tous les récits des évangiles, nous sommes là, quelque part. Comme les Sept, nous retournons parfois en arrière, car ce que nous avons essayé (engagement, couple, travail, projet …) n’a pas abouti. On retourne alors à ce qu’on savait déjà, laissant les rêves de changements, de vie nouvelle. Vaut-il la peine de poursuivre l’aventure avec Jésus, avec les autres? Mais même dans nos retours en arrière, le Seigneur vient nous chercher, nous appeler à reprendre route, à reprendre vie.

C’est nous aussi qui apercevons cet inconnu sur nos rivages. Pour le reconnaître, ce n’est pas évident. Nos yeux de disciple bien-aimé doivent s’ouvrir, être attentifs aux signes offerts, qui peuvent venir d’un proche, d’une jeune, d’un aîné, d’une parole, d’une prière. C’est nous aussi que Jésus appelle en communauté, ce groupe de sept, qui ont partagé une histoire, qui croyaient que l’heure de la retraite était venue, mais qui reçoivent une nouvelle mission.

C’est nous aussi dans cette histoire de Pierre, avec nos reniements, nos distances, devant la croix de Jésus. Et qui nous faisons dire que le service du berger, le soin des autres, c’est plus qu’une tâche. Cela suppose un lien personnel au Christ vivant, un amour qui nous habite et nous rende capables de nous donner et de nous abandonner, parce que c’est une histoire d’amour et d’amitié.

Ainsi, dans ce récit, nous nous retrouvons en barque et sur le rivage, avec les Sept et avec Jésus, au repas et au dialogue; pour entendre l’appel final à suivre Jésus. Dans tout cela, où suis-je, où en suis-je? Et quelle nouvelle mission m’attend?

Images

Ce récit a suscité des œuvres, ici et là, au long de l’histoire de l’art chrétien, mais rien de comparable à la chronique précédente (entrée de Jésus à Jérusalem). Par ailleurs, on trouve plusieurs images autour des diverses histoires de pêche et/ou de barque dans les Évangiles: l’appel des premiers disciples (Mc 1, 16-20), l’appel de Pierre (Lc 5, 1-11), la tempête apaisée (Mc 4, 35-41), la marche sur les eaux (Mt 14, 22-33). Et parfois, ils sont combinés, emmêlés, dans certaines œuvres, pour indiquer des liens, ou par confusion.

Des éléments sont communs à plusieurs récits: le lac, la barque, les poissons, les filets, Pierre dans l’eau, la présence de Jésus. Mais, visuellement, pour Jean 21, trois sont spécifiques : les Sept disciples, Jésus sur la grève avec le feu, l’aparté entre Jésus et Pierre. Ce qui rejoint les trois moments du récit: les Sept en barque sur la mer de Tibériade, pour la pêche; les Sept avec Jésus sur le rivage, pour un repas autour du feu; Pierre et Jésus à l’écart pour un dialogue. Les œuvres peuvent se centrer sur l’un de ces moments ou intégrer des éléments des trois.

Sept figures de disciples s’y trouvent, en action ou assis, mais deux ressortent : Pierre le leader et le disciple bien-aimé. Divers visages de Jésus sont présents : aperçu de loin, reconnu, actif au repas, en conversation. Et cela dans un environnement naturel qui est intéressant : la mer, le rivage, les paysages au proche et au loin. Autour de la barque et du repas, des gestes sont accomplis et des objets sont utilisés. Ces divers matériaux peuvent être plus ou moins développés, selon la composition et le style de l’œuvre.

Dans les œuvres qui suivent, entre Sienne et Singapore, on retrouve certains habitués de cette chronique (Duccio, Tissot, Hole), mais aussi des nouveaux venus. Mais il n’y a pas d’oeuvre du Groupe des Sept, ce groupe d’artistes canadiens formé à Toronto en 1920, célèbre pour ses paysages. Ils ont peint des lacs et rivages mais pas de scènes religieuses, sauf à l’Église anglicane St. Anne de Toronto en 1924 : J.E.H. MacDonald (Transfiguration, Tempête apaisée, Crucifixion), Franklin Carmichael (Adoration des Mages, Entrée à Jérusalem), et Frederick Varley (Nativité, Prophètes).

  1. Duccio di Buoninsegna, 1308-1311, Museo dell’Opera del Duomo, Sienne, Italie. Cette scène fait partie d’un panneau arrière du fameux retable Maestà, grande œuvre du peintre siennois, alliant l’art nouveau de Cimabue et Giotto à la tradition byzantine. Nous voyons bien les Sept. Pierre se jette à la mer (v.7). Le filet est tout à fait rempli de poissons et trois disciples le tirent. Le bien-aimé est probablement celui au centre, main levée. Jésus les attend sur le rivage, main levée vers ses disciples. Il est solennel, dans son vêtement rouge et bleu, aux lignes dorées, comme à la Transfiguration. Ses mains portent la marque des clous. C’est vraiment le Seigneur!
  1. Konrad Witz, 1444, Musée d’Histoire de l’art, Genève, Suisse. Ce peintre d’origine allemande (Souabe) s’est installé à Bâle en 1431. Cette œuvre a été faite un an avant sa mort. Son art est à la frontière du gothique et de la Renaissance. Ce panneau faisait partie d’un retable pour la cathédrale de Genève. Il intègre plusieurs scènes évangéliques de pêche. Mais il y a sept disciples et Pierre se jette à l’eau, devant Jésus près du rivage. Le filet toutefois ne semble pas encore contenir les 153 gros poissons! À noter : le paysage est très précis, ce qui est innovateur dans l’art de l’époque : il s’agit du Lac Léman, du Mont-Blanc à l’arrière, des monts Le Môle et Petit Salève, de quartiers particuliers de Genève à droite. L’Évangile se passe ici et maintenant.
  1. Miniature, c.1480-1490, Vita Christi, vol. 1, folio 134v, University of Glasgow Library, Écosse. Ce manuscrit, en quatre volumes, a été écrit par Ludolphe de Saxe, en 1324-1328, quand il était dominicain; par la suite, il est devenu Chartreux. Il comprend les Évangiles, les Actes, des textes de Pères de l’Église. Il a été très populaire et traduit en plusieurs langues; il a influencé Ignace de Loyola. Cette miniature est attribuée à Jacques de Besançon. Les 140 miniatures sont réputées pour leur finesse et leurs couleurs. Pierre et Jean, à l’avant, portent le filet. Jésus sur le rivage est majestueux.
  1. Jacopo Siculo, fresque, c.1535, chapelle de l’Assomption, Cathédrale Santa Maria Assunta, Spoleto, Italie. Cet artiste sicilien a travaillé en Ombrie. Il a fait plusieurs fresques dans cette chapelle. Nous retrouvons ici les éléments familiers : les sept disciples, le filet tiré, Pierre dans l’eau, Jésus sur le rivage qui bénit, un paysage au loin.
  1. James Tissot, c.1886-1894, Brooklyn Museum, États-Unis. Cet artiste français, ayant vécu en Terre Sainte, a porté attention aux lieux bibliques. Nous avons ici les trois moments du récit : les sept disciples qui ramènent la barque remplie de poissons et Jésus qui les attend; le cercle des disciples avec Jésus, autour du feu, pour le repas de pain et de poissons; l’entretien de Jésus avec Pierre. Le tout dans le même paysage, avec montagnes, au bord du Lac de Tibériade.
  1. William Hole, 1906, The Life of Jesus of Nazareth: eighty pictures, Eyre & Spottiswoode, London. Comme Tissot, ce peintre écossais a vécu en Terre Sainte et a illustré la Bible. Le point de vue ici est original. C’est celui depuis la barque des disciples, qui s’avance vers le rivage. On y voit les montagnes et Jésus le ressuscité, vêtu de blanc, qui fait signe. Un feu est derrière lui.
  1. David Lindsley, 21e siècle, Lovest Thou Me More Than These?, site churchofjesuschrist.org, États-Unis. Ce peintre et illustrateur, originaire de Californie, est membre de l’Église de Jésus-Christ des Saints-des-Derniers-Jours (Mormons). On voit ici l’échange, à l’écart, entre Jésus et Pierre; Jésus le prend par l’épaule. Pierre est attentif et réfléchit. On voit aussi la marque des clous sur la main et le pied de Jésus. Les nombreux poissons sont là, et la barque. Deux disciples, assis par terre, ne sont pas loin; l’un d’eux est intéressé à cette conversation, probablement le bien-aimé (21,20).
  1. Kate Cosgrove, Breakfast on the Beach, 21e siècle, site brethren.org, États-Unis. Cette jeune et réputée illustratrice de livres d’enfants réside au Canada. L’image est sur un site mennonite. Nous voyons seulement quatre disciples, mais dans la barque avec les poissons. Et surtout, Jésus est sur le rivage, avec feu et poisson, ce qui est propre à Jean 21. Les couleurs sont vives et l’œuvre joyeusement expressive.
  1. Icone maronite, site interruptingthesilence.com, États-Unis. Cette icone se trouve dans les archives de l’Archéparchie des Maronites de Chypre, à Nicosie. Plusieurs scènes sont présentées et Pierre y apparaît trois fois : le groupe des Sept dans la barque, avec le filet qui se remplit de poissons; Jésus sur le rivage avec le feu et le repas de pains et poissons; Pierre dans l’eau, référant à un autre récit; Pierre, clés en main, devant Jésus qui lui confie des responsabilités. Jésus, nimbé et tenant en main le rouleau de la Parole, est le Seigneur crucifié (marques des clous) et ressuscité. L’icône est image et enseignement.
  1. Joseph McNally, cuivre et bronze, 2001, The Breaking of Bread, Lough Carra, Comté de Mayo, Irlande. Ce peintre et sculpteur irlandais, frère des Écoles chrétiennes, a enseigné les arts en Malaysie et à Singapore. Il est mort en 2002. Cette sculpture, de grandeur nature, est au bord d’un lac (Lough ou Loch en irlandais) dans le comté d’où venait McNally. Jésus rompt le pain, une miche irlandaise traditionnelle. Le feu est allumé, avec les poissons. Voici une œuvre dépouillée et éloquente.
  1. Mike Moyers, Breakfast at Dawn, site illuminationsbymike.blogspot.com, 21e siècle, États-Unis. Pour cet artiste catholique du Tennessee, l’art fait partie de sa quête spirituelle et de son engagement chrétien. Cette peinture lui a été commandée par un mécène de Singapore. « Dans ce tableau, écrit-il, j’ai essayé d’imaginer ce beau repas du matin … Le frère soleil se lève sur l’horizon du monde, illuminant la mer d’une lumière dansante. Les reflets s’amplifient jusqu’au rivage où l’on aperçoit le bateau abandonné et un cercle de fraternité. En regardant de près, on peut voir une communion de grâce. »
  1. Pat Marrin, Stranger on The Shore, 2022; Do You Love Me?, 2023; site ncronline.org, États-Unis. Cet illustrateur a travaillé au National Catholic Reporter et en d’autres publications. Ses caricatures sur le pape François sont bien connues. Ces deux dessins, faits au crayon, sont dans sa chronique Pencil Preaching, qui commente les Évangiles. Dans celui du haut, les Sept et leur barque avancent vers Jésus, debout sur le rivage, qui a préparé le feu. Dans l’autre, Jésus et Pierre, assis sur une bûche, près du feu, sont en pleine conversation. On a envie de les rejoindre …

Daniel Cadrin, o.p.


Dessin à tracer et à colorier

Une tracé inspiré de peintures traditionnelles

Cliquer sur l’image pour l’agrandir et la sauvegarder!


Vivre les Évangiles de l’intérieur – Zachée

Une illustration inspirée d’une photo de Josiane dans le rôle du Zachée et de Mathieu incarnant un récriminant de la foule, avec en arrière-plan un image tirée d’une représentation traditionnelle.

Cette fois-ci c’est Josiane, de Sherbrooke, qui a choisi de se mettre dans la peau de Zachée. Elle a vécu de l’intérieur l’empressement de Zachée face à l’appel de Jésus. Josiane (qui porte toujours un masque en public parce qu’elle a une santé fragile) témoigne à propos de cette expérience :

« Je suis contente qu’il y ait quelqu’un qui se soucie de moi malgré ce que j’ai fait. Je suis repentante de tout le mal que j’ai fait. Comme Zachée, je suis de petite taille. Quand on est de petite taille, on est rejeté, c’est ce que j’ai souvent vécu. Le fait que Jésus me parle et s’intéresse à moi, c’est très valorisant, je suis soulagée!. »

Josiane

Mathieu, qui de son côté incarne un des personnages qui assiste à la scène, partage à son tour :

 » En me mettant dans la peau des récriminants de la foule, ce que je ressentais c’était de la jalousie et de l’envie. Je me suis reconnue dans un examen que j’ai passé et où d’autres ont eu une meilleure note que la mienne. Je trouvais que c’était frustrant. Ça m’a fait réfléchir à rendre grâce au Seigneur pour ce que j’avais déjà. J’ai réussi aussi. Dieu est bon pour tous! « 

Mathieu

Merci à Clarisse qui a animé la rencontre!

Choisissez un personnage rencontré par Jésus dans les Évangiles, et prenez un temps pour le vivre de l’intérieur en mimant son attitude vis à vis de Jésus. Demandez à une personne de prendre quelques photos. Faites-nous parvenir vos photos accompagnées de votre témoignage à propos de ce que vous avez vécu intérieurement lorsque vous vous êtes mis dans la peau du personnage.

Contact : alecoutedesevangiles@gmail.com

Pour en savoir plus sur l’activité pour « vivre les Évangiles de l’intérieur »! :
https://alecoutedesevangiles.art/2023/10/14/une-nouvelle-activite-pour-vivre-les-evangiles-de-linterieur/

Pour lire l’article à propos de la rencontre entre Jésus et Zachée :
https://alecoutedesevangiles.art/2022/09/12/rencontres-avec-jesus-zachee/


Rencontres avec Jésus – La foule

Une illustration inspirée de peintures de Giotto et de Lorenzetti

Une nouvelle invitation à rencontrer Jésus, au travers de la foule qui le célèbre!

UNE FOULE EN FÊTE, QUI ACCUEILLE JÉSUS : Jean 12, 12-19

Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean – Chapitre 12

12 Le lendemain, la grande foule venue pour la fête apprit que Jésus arrivait à Jérusalem.

13 Les gens prirent des branches de palmiers et sortirent à sa rencontre. Ils criaient : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit le roi d’Israël ! »

14 Jésus, trouvant un petit âne, s’assit dessus, comme il est écrit :

15 Ne crains pas, fille de Sion. Voici ton roi qui vient, assis sur le petit d’une ânesse.

16 Cela, ses disciples ne le comprirent pas sur le moment ; mais, quand Jésus fut glorifié, ils se rappelèrent que l’Écriture disait cela de lui : c’était bien ce qu’on lui avait fait.

17 La foule rendait témoignage, elle qui était avec lui quand il avait appelé Lazare hors du tombeau et l’avait réveillé d’entre les morts.

18 C’est pourquoi la foule vint à sa rencontre ; elle avait entendu dire qu’il avait accompli ce signe.

19 Les pharisiens se dirent alors entre eux : « Vous voyez bien que vous n’arrivez à rien : voilà que tout le monde marche derrière lui ! »

Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris


Commentaire de l’Évangile

Par Daniel Cadrin, o.p.

Jésus a circulé en Galilée, en Samarie et en Judée. Il a rencontré plusieurs personnes et groupes qui ont été touchés par lui ou ont gardé leur réserve. Tout au long, ses disciples l’accompagnent et apprennent à mieux le connaître. Mais à plusieurs occasions, Jésus a eu des contacts avec des foules : pour leur enseigner, les nourrir, les interpeller. L’une de ces rencontres fut spéciale : la foule l’a accueilli joyeusement, comme un roi, un Messie. C’est son entrée à Jérusalem qui, on le sait, sera suivie par sa Passion et sa mort en croix. Mais, au moins, il y eut ce moment de reconnaissance festive.

Ce récit se retrouve dans les quatre évangiles, ce qui n’est pas fréquent. Pour cette scène, les synoptiques (Matthieu 21,1-11; Marc 11,1-11; Luc 19,28-40) ont beaucoup en commun, particulièrement les préparatifs plus détaillés. En Jean, l’approche est différente et il commente l’événement (v.16-18). À la fin, Luc (19,39) et Jean (12,19) mentionnent la réaction des Pharisiens; Matthieu (21,11) celle des foules; et Marc aucune, sauf Jésus qui poursuit son parcours (11,11). Mais les quatre ont en commun l’arrivée sur un âne et l’accueil par la foule, avec ses acclamations et leur dimension messianique. En Matthieu, il y a une ânesse et un ânon (21,2), alors que chez les autres, seulement un âne.

Un personnage royal fait son entrée et la foule l’acclame : Ils prirent des branches de palmier et sortirent à sa rencontre. Et ceux qui précédaient et qui suivaient criaient : « Hosanna ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient, le roi d’Israël ! » (Jn 12 12-13). Enfin il vient,ce Messie qu’elle attendait, ce Roi, fils de David, qui va instaurer le Royaume. La foule est prête à le suivre. Nous aussi nous avons déjà accueilli avec enthousiasme ce Jésus qui entrait dans nos vies. Enfin, nos vies seraient transformées. Hosanna ! Et pourtant, cette entrée triomphale sera suivie par la défaite et l’abandon, comme le récit de la Passion le montre.

La question est posée : quel genre de Messie est Jésus ? Quelle est sa voie, que nous la suivions ? Une réponse est donnée dans le signe de l’âne réalisant la prophétie de Zacharie (9,9). Le Roi qui vient n’est pas un puissant, un guerrier ; il n’arrive pas sur un cheval, un char d’assaut ou un char allégorique. II est humble, porteur de paix : il arrive à vélo ! Voici un Messie singulier. Son Royaume risque d’être surprenant.

Cette réponse va se dévoiler plus totalement avec la suite des événements et le drame de la Passion. Ce drôle de Messie sera arrêté, jugé, exécuté. Et la foule ne l’acclamera plus quand elle verra en lui un roi sans empire, dépouillé et désarmé. Ce n’est pas le Messie qu’elle attendait. Confuse, elle se laissera manipuler par ses chefs qui sauront lui montrer le danger que représente ce pseudo-roi. Sur les voies rapides, à côté des camions et des autos, une bicyclette ne fait pas le poids.

Pourtant, par la suite, certains membres de la foule comprendront le sens profond de cette étrange entrée (v.16). Ils reviendront à ce Jésus quand une lumière unique les aura éclairés et que leurs yeux se seront ouverts. Mais il leur aura fallu passer de l’acclamation à la peur et à la déception avant de reconnaître en lui celui qu’ils espéraient, au-delà de leurs premières attentes. Sa voie deviendra pour eux chemin de vie, sur lequel avancer sans lourds bagages, sans moyens imposants, à la suite d’un Messie qui préfère voyager à dos d’âne.

Ce début de la Passion nous invite à refaire les cheminements de notre foi, depuis les premiers enthousiasmes jusqu’aux déceptions et abandons pour déboucher sur des retrouvailles lumineuses au matin de Pâques. Ces tâtonnements sont toujours à reprendre pour redécouvrir l’incroyable singularité de Jésus. Nos premiers hosannas ne sont que le début d’une route dérangeante, sur les pas d’un Messie qui renverse nos attentes d’un triomphe spectaculaire sous les applaudissements des médias.

Quand on peut rouler en sécurité, sans connaître la poussière des routes, il ne va pas de soi de suivre un Messie à vélo. II y a tellement de pressions à prendre les autoroutes plutôt que les sentiers. Pourtant, à suivre les traces de ce Messie pacifique, une vie nouvelle nous est promise, où voir des paysages pacifiants, où faire des rencontres inespérées.

Images

L’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem se trouve sur les sarcophages chrétiens les plus anciens. Elle est présente dès les origines de l’art chrétien et elle le demeure tout au long de son histoire, sous diverses formes.

Plusieurs figures et figurants interviennent dans cette scène : Jésus, ses disciples, une foule avec des enfants et des adultes, un âne et parfois un ânon. Le lieu est signifiant : c’est à l’entrée de la ville. L’action est joyeuse et entraînante, avec des gens qui se déplacent, des cris, des chants et des acclamations, des vêtements placés sur la route, des branches d’arbre agitées. L’architecture de la ville peut être plus ou moins développée : portes, tours, habitats, rues. La foule peut être nombreuse ou évoquée seulement par quelques personnes.

L’expression du visage de Jésus est souvent réflexive, concentrée : il médite sur l’événement et sur ce qui s’en vient. Parfois, il est plutôt attentif à ce qui se passe autour de lui. Jésus peut chevaucher l’âne, ce qu’on trouve habituellement dans l’art occidental, ou plutôt être assis de côté, ce qui caractérise l’art oriental.

Un élément, que l’on voit surtout aux périodes antique et médiévale, est un arbre (olivier) où des enfants ou des adultes sont juchés. Cela peut exprimer la curiosité et la fête mais aussi évoquer la figure de Zachée (Lc 19,4), dont la montée dans un arbre en Luc précède de peu l’entrée à Jérusalem; comme si, après l’accueil de Jésus, Zachée était retourné dans son arbre pour mieux voir!

Voici des entrées, sculptées ou assemblées, peintes ou écrites, depuis le 4e siècle jusqu’au 21e.

  1. Sarcophage, marbre, 4e siècle, Musée du Vatican, Rome. Les chrétiens de l’Antiquité aimaient que l’entrée festive à Jérusalem accompagne leur passage. Comme le sarcophage d’Adelphia (c.340, Syracuse) et celui de Junius Bassus (359, Rome), celui-ci montre un Jésus jeune, imberbe, avançant sur un âne; des vêtements sont déposés en hommage et une figure est juchée dans un arbre. C’est une entrée impériale mais sans arme ni signe de puissance. Ici, plusieurs personnes sont présentes, dont des enfants; et l’un des disciples couronne Jésus d’une guirlande. Dans cet espace retreint, c’est une scène en mouvement.
  1. Miniature, c.550, Codex Purpureus Rossanensis, Musée diocésain de Rossano, Calabre, Italie. L’Évangéliaire de Rossano, un manuscrit en grec des Évangiles de Matthieu et Marc, sur parchemin pourpre, est originaire d’Antioche en Syrie et fut amené à Rossano, au 9e siècle. Il comprend 15 miniatures de la vie de Jésus, de style byzantin. Jésus, assis de côté sur l’âne, avance en bénissant; Pierre et Jean le suivent. Des jeunes mettent des vêtements par terre; un groupe d’adultes, rameaux en mains, l’accueille. Des enfants sont à la porte; dans la ville, avec ses tours, des gens acclament Jésus avec des rameaux. Deux figures sont grimpées dans un arbre. Pour une miniature, c’est bien rempli!
  1. Mosaïque, c.1140-80, Chapelle Palatine, Palerme, Sicile, Italie. Cette splendide chapelle du 12e siècle, dans le Palais des Normands, est couverte de mosaïques byzantines. Jésus avance, là aussi assis de côté, comme le Pantocrator, solennel et nimbé, bénissant d’une main et tenant de l’autre le rouleau de la Parole. Ses disciples l’accompagnent : Pierre à droite, avec aussi un rouleau; Jean, puis les autres qui suivent derrière. Des enfants étendent des vêtements sur le sol; l’un est en train même d’enlever le sien! Des palmes d’olivier ont été déposées. À l’entrée de la ville, se trouvent un palmier avec ses dattes et un comité d’accueil comprenant des prêtres juifs et une femme, qui semble nous regarder. Qui est-elle?
  1. Giotto di Bondone, fresque, 1305, Chapelle des Scrovegni, Padoue, Italie. Cette scène fait partie des 53 fresques, dont 23 sur la vie du Christ, que Giotto et ses assistants ont réalisées à Padoue. Avec ses personnages expressifs, dans une approche innovatrice, cet ensemble est considéré comme une œuvre majeure dans l’art occidental. Jésus s’avance, chevauchant l’âne et bénissant; ses disciples sont derrière lui; on entrevoit un ânon. Un enfant dépose un vêtement alors qu’un autre enlève le sien pour faire de même. Un groupe d’hommes et de femmes reçoivent Jésus à la porte de la ville. Ici, on voit plusieurs oliviers avec deux jeunes qui y sont installés, l’un enlevant des branches. L’âne semble souriant.
  1. Duccio di Buoninsegna, 1308-11, Maesta, National Gallery, Londres, Angleterre. Cette scène faisait partie de la Majesta, célèbre retable qui est surtout au Duomo de Sienne. Le siennois Duccio s’inscrit à la fois dans l’art byzantin et la nouveauté de Giotto. On retrouve ici des éléments des Entrées précédentes: les enfants, les manteaux et les palmes, Jésus et ses disciples, les gens dans les arbres. Mais l’œuvre est faite en hauteur, la foule est beaucoup plus nombreuse, la ville est plus développée, et on voit bien l’ânon avec l’âne. En bas, à droite, une porte est ouverte …
  1. Anthony van Dyck, 1617, Indianapolis Museum of Art, États-Unis. Cet artiste d’Anvers a travaillé en Italie, aux Pays-Bas et en Angleterre. Il fut un portraitiste très réputé. Ici, c’est une œuvre de jeunesse, faite à 18 ans, alors qu’il était assistant de Rubens, dont on sent l’influence. Mais c’est déjà précis et animé; les couleurs sont vives et les corps vigoureux. L’accent est mis sur Jésus et ses disciples plus que sur la foule et la ville. Le Christ en bleu et rouge, pieds-nus, couvre l’âne. Un homme porte une branche, un autre dépose un vêtement; un palmier se voit à l’arrière. Quelle sera la suite?
  1. Jean Hyppolite Flandrin, fresque, 1842-46, église Saint-Germain-des-Prés, Paris, France. Ce peintre originaire de Lyon a été formé par Ingres à Paris et a séjourné à Rome. Ses œuvres, de style néo-classique, comprennent des sujets historiques et religieux et des portraits. En plus des 20 fresques dans la nef de l’église, combinant l’Ancien et le Nouveau Testament, il a fait celles dans le chœur et le sanctuaire, dont celle-ci, du côté nord. Dans une longue procession, Jésus avance sur l’âne, accompagné de l’ânon, suivi de ses disciples, rameaux en mains, à travers la foule qui s’approche et l’accueille, mais sans exubérance. Un enfant est élevé en l’air. Tout se passe avec retenue, personne ne sourit. Chacun tient sa place dans cet ensemble qui défile devant les édifices de la ville, tout en blanc.
  1. James Tissot, c.1886-1894, Brooklyn Museum, États-Unis. Ce peintre français, familier de la Terre Sainte où il a vécu, porte attention à l’environnement et aux interactions entre les personnages. En contraste avec l’œuvre précédente, voici une procession plus festive. Les enfants à l’avant, aux expressions diverses, mènent la marche de la fête. La foule, de chaque côté d’une rue étroite, acclame Jésus. Celui-ci, en blanc comme plusieurs dans la foule, est précédé d’un guide tenant l’âne et suivi de ses disciples. Que la fête commence!
  1. Harry Anderson, c.1960-1970, Church History Museum, Salt Lake City, États-Unis. Les scènes évangéliques de cet artiste originaire de Chicago, membre de l’Église Adventiste du 7e Jour, sont appréciées pour leur style réaliste et vivant. Il a aussi fait plusieurs œuvres pour l’Église de Jésus-Christ des Saints-des-Derniers-Jours (Mormons). Nous avons ici un gros plan. Pierre mène l’âne blanc, sur lequel Jésus en blanc est assis, calme et attentif. L’enfant à gauche annonce l’événement avec joie. Les disciples échangent à l’arrière. Des femmes en bleu à l’avant étendent sur le sol des tissus jaunes et rouges. Des gens sourient et applaudissent. Au fond, des rameaux et un arche : la porte d’entrée de la ville a été franchie.
  1. Richard Serrin, 1974, St. Andrew’s Chapel, Sanford, Floride, États-Unis. Ce peintre de l’Illinois, marqué par la Renaissance, a conjugué classicisme et contemporanéité avec originalité. Il a vécu longtemps à Florence. Il est décédé en 2022. Dans cette église presbytérienne, cette œuvre fait partie d’une série de six peintures sur la Passion. Jésus, costaud aux pieds nus, simplement vêtu de bleu, est concentré vers l’intérieur. Le noir traverse la scène : à droite, un handicapé; au centre, l’âne; et à gauche, Judas, bourse à la ceinture, qui ne regarde pas Jésus mais vers l’extérieur. Pendant que des gens chantent et dansent au son des tambourins. Voici une scène contrastée.
  1. Yu Jiade, encre et eau, 1996, dans Jesus the Son of Man: Selected Paintings by Yu Jiade, China Christian Council. Ce peintre et calligraphe de Shangaï est un artiste chrétien actif et important. Il a été lié au Amity Christian Art Center, fondé à Nanjing en 1993 pour soutenir le développement d’un art chrétien chinois. Jésus, rayonnant de lumière, en rouge et blanc, est assis de côté sur l’âne noir, que quelqu’un tire vers l’avant. La foule le serre de près. Des rameaux sont étendus. On voit le porche de l’entrée de la ville.
  1. Liz Lemon Swindle, 21e siècle, site lizlemonswindle.com, États-Unis. Cette artiste du Utah, déjà présente dans cette chronique (lépreux, Samaritaine, femme sauvée) est attentive aux personnes et sensible à leur humanité. Ses œuvres savent exprimer et toucher. Jésus, en blanc et bleu, regardant autour, est assis de côté sur l’âne qu’un disciple tient. Le blanc domine dans la foule, paisible et joyeuse. Plusieurs enfants sont présents. Des rameaux à l’avant et à l’arrière donnent le ton de la fête. Je suis quelque part dans cette foule : je me réjouis et je m’étonne …

Daniel Cadrin, o.p.


Dessin à tracer et à colorier

Une tracé inspiré de peintures de Giotto et de Lorenzetti

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