Rencontres avec Jésus – Marthe et Marie

Une nouvelle invitation à rencontrer Jésus, cette fois-ci au travers des points de vue de Marthe et Marie.

MARTHE ET MARIE, ENTRE SERVICE ET ÉCOUTE : Luc 10, 38-42

Evangile de Jésus-Christ selon saint Luc – Chapitre 10

38 Chemin faisant, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut.

39 Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole.

40 Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. »

41 Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses.

42 Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »

Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris


Commentaire de l’Évangile

Par Daniel Cadrin, o.p.

Voici un court récit connu et inspirant : Jésus va visiter Marthe et Marie. Il ne se trouve que dans l’Évangile selon Luc. Il nous présente Jésus, le prêcheur itinérant et le prophète de la Parole, en route vers Jérusalem (9,51). Comme il l’a conseillé à ses disciples en mission (10, 5-7), Jésus prend le temps de s’arrêter et il se rend dans une maison. On passe ainsi de la route à la maison. Comment sera-t-il accueilli? Les deux femmes qui l’accueillent, Marthe et Marie, sont sœurs; Marthe semble l’aînée, car c’est sa maison. On ne les retrouve pas ailleurs en Luc. Mais elles sont présentes en Jean, avec leur frère Lazare (11,1-3; 12,1-3) à Béthanie; nous y reviendrons dans des chroniques ultérieures. Ici, le lieu n’est pas identifié : il entra dans un village.

La façon d’exercer l’hospitalité envers leur invité Jésus est présentée de manière contrastée. Marie écoute la parole de Jésus. Elle agit comme une disciple, assise aux pieds du Maître qui enseigne. Elle est centrée sur la personne de l’invité, en l’occurrence un prophète. Marthe est occupée par diverses tâches. De plus, elle critique sa sœur et demande même à Jésus d’intervenir dans leur querelle domestique. Son hospitalité n’est pas centrée sur l’essentiel, ce que Jésus lui rappelle. Par ailleurs, Jésus l’appelle deux fois par son nom, ce qui souligne le lien personnel.

On trouve un enjeu semblable dans les Actes du même Luc (6,2) où le service de la Parole et celui des tables sont mis en contraste. Pour Luc, la Parole est au coeur de toute son œuvre, depuis l’Évangile où Jésus l’annonce jusqu’aux Actes où elle est proclamée par les apôtres et se répand dans le monde. La Parole a priorité car tout naît de sa réception, de son écoute. Précédemment en Luc (8,21), Jésus a dit que sa mère et ses frères, ce sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la mettent en pratique. Cela est repris plus loin (11,28) : Heureux plutôt ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui l’observent.

On a parfois identifié les attitudes de Marie et de Marthe à la contemplation et à l’action, Marie ayant la meilleure part. En fait, ce qui compte chez Marie, c’est plutôt son écoute de la Parole et son hospitalité envers Jésus. Marie est centrée sur l’essentiel, d’où tout le reste peut venir. La contemplation et l’action s’enracinent dans l’écoute de la Parole. Le témoignage, la prière, la prédication, l’attention aux détresses, le partage, toutes ces expressions de la foi ont besoin de prendre racines dans le sol unique de la Parole de vie.

Ce récit nous pose une question simple : Où sont nos priorités? Quelle place la Parole, dans toutes ses formes, prend-elle dans nos vies? De quelles manières pourrions-nous rester branchés sur la source? De plus, Luc nous invite à nous interroger sur notre hospitalité, sur nos façons d’accueillir : Qu’est-ce qui est plus important : porter une attention réelle aux personnes ou rester concentrés dans nos préoccupations et tracas?

Et si Jésus arrivait chez nous, dans notre maison, que ferions-nous? Et si déjà, il était arrivé, présent sous un visage familier ou nouveau, installé au salon ou dans la cuisine, disponible pour une bonne conversation. Il vaut peut-être la peine de fermer la télé ou la tablette, le portable ou le cellulaire, d’oublier un instant de tout nettoyer et ranger. Et des porter attention à sa parole et à sa personne. Tant de préoccupations nous habitent, nous inquiètent, requièrent notre activité. Ces soucis sont réels et ne peuvent être niés. Mais pour mieux y faire face et ne pas nous enfermer dans l’immédiat, avec un regard sans horizon qui vite se décourage, nous avons besoin de porter attention à cette parole des Écritures. Et à cette parole qui vient aussi de nos proches ou de gens plus lointains, qui nous appellent à relever la tête, à garder confiance, à espérer. Écoute de la Parole et espérance sont liées.

Images

Dans l’histoire des images, celle de la rencontre de Jésus avec Marthe et Marie, en Luc, s’est développée surtout à partir du 16ème siècle. La scène se passe dans une maison, souvent autour de la table, ou à l’extérieur près de l’entrée. Le style et la grandeur de la maison, comme de la salle, peuvent varier. Des objets de cuisine, des plats et cruches, et des aliments, surtout du pain et des fruits, sont présents. Parfois un paysage est intégré.

Près de Jésus, on trouve les deux figures de Marthe et Marie, et souvent aussi des invités et des disciples. Marthe et Marie sont bien identifiables par leur posture physique : Marie assise ou agenouillée aux pieds de Jésus et Marthe debout, en activité. Marie a habituellement l’air plus jeune que Marthe. Jésus est plus fréquemment en conversation avec Marthe, à propos de Marie, comme dans le texte. Parfois, Jésus et Marie sont en dialogue et Marthe est un peu à distance.

Voici quelques oeuvres de styles différents, depuis le 16ème jusqu’au 21ème siècle.

  1. Jacopo Tintoretto, c.1560, Alte Pinakothek, Munich, Allemagne. Le Tintoret, peintre de Venise où il a passé sa vie, s’est inscrit dans le courant maniériste mais en développant un style très personnel : sens de la perspective, figures en mouvement, aspect dramatique. Ses angles de vue sont originaux, offrant un autre point de vue; il aurait été un excellent cinéaste! La scène se passe dans une grande maison, dont on voit l’entrée, avec un foyer à droite. Jésus et Marthe sont tournés vers Marie, que Marthe désigne du doigt. Les deux femmes sont élégamment vêtues. Les vêtements de Jésus et de Marie ont les mêmes couleurs. D’autres figures sont présentes, en conversation. La lumière baigne la scène, irradiant de Jésus.
  1. Diego Vélasquez, 1618, National Gallery, Londres, Angleterre. Ce peintre espagnol de Séville est une figure majeure en histoire de l’art. Nommé peintre royal, il a travaillé à la Cour de Madrid. Cette œuvre de jeunesse (il a 19 ans) est déjà complexe. À cette époque, il a fait des natures mortes et des scènes de genre, montrant la vie quotidienne. Dans celle-ci, une servante prépare un repas, avec œufs, ail et poisson; une femme aînée lui fait des remarques. Au fond, on voit une scène biblique, avec Jésus, Marie et Marthe, comme une peinture dans la peinture. Le décor de la pièce est dépouillé. On peut faire un parallèle entre la jeune servante, recevant les remontrances de l’ainée, et Marie entendant Marthe se plaindre. On peut aussi voir la servante au travail comme Marthe, critiquée par Jésus. La lumière éclaire les figures, les aliments et les objets.
  1. Johannes Vermeer, 1655, National Gallery of Scotland, Edinburg, Écosse. Ce peintre néerlandais de Delft est célèbre pour ses portraits, ses intérieurs avec fenêtre et son sens de la lumière. Il a fait peu d’oeuvres, mais chacune aujourd’hui vaut une fortune. De famille calviniste, il s’est converti au catholicisme à 21 ans (1653) et il a épousé une catholique; ils ont eu onze enfants. Ici, par son format, cette œuvre est sa plus grande et l’une de ses rares œuvres religieuses. Seules les trois figures sont présentes, formant un triangle. Marthe apporte un pain dans un panier; elle est en conversation avec Jésus, qui désigne Marie du doigt. Marie est assise, attentive. Au centre, la lumière rayonne, par le triangle blanc de la nappe.
  1. Ivan Rutkovych, icône, 1697-1699, Iconostase Nova Skvariava, Musée National de Lviv, Ukraine. Cet artiste ukrainien a fondé l’École iconographique de Zhovkva qui fut influente pour le renouveau de l’art de l’icône. Tout en s’inscrivant dans la tradition byzantine, il a intégré divers éléments de l’art européen contemporain, dont le baroque. Son iconostase pour l’Église de la Nativité-du-Christ à Zhovkva, maintenant au Musée de Lviv, est la plus estimée de l’Ukraine, un trésor national. Elle comprend sept rangées d’icônes. La rencontre de Jésus avec Marthe et Marie en fait partie. Jésus et Marie, tous deux assis, sont en conversation. Marthe, debout à droite avec son sceau, à l’écart, observe la scène. À gauche, des personnes sont au travail près d’un foyer. Qui est la figure debout au centre : un saint, un ange, un prince, Lazare?
  1. Thomas Clement Thompson, 1847, National Gallery of Ireland, Dublin, Irlande. Ce peintre de Belfast a travaillé comme portraitiste, d’abord à Dublin où il a été formé, puis à Londres où il s’est installé à partir de 1817. Il est un des fondateurs de la Royal Hibernian Academy. Les positions de chaque figure sont claires : Marie à genoux, les mains jointes, Marthe debout tenant un plat, et Jésus assis. L’œuvre est un peu étrange : les trois ont un air figé et regardent dans le vide, comme si le mouvement s’arrêtait. Au fond, des gens sont à table, dans cette vaste maison avec boiseries, rideaux et balcon.
  1. Paul Leroy, 1882, Musée des Beaux-Arts, Rouen, France. Cet artiste a vécu la première partie de sa vie à Odessa, aujourd’hui en Ukraine mais alors en Russie. En 1877, à 17 ans, il arrive à Paris où il poursuit sa formation de peintre. Il a beaucoup voyagé en Afrique du Nord (Algérie, Égypte, Tunisie) et en Turquie; il a appris l’arabe. En 1893, il fut l’un des fondateurs de la Société des Peintres Orientalistes Français. Il est réputé pour son dessin et son sens des couleurs. Ici, c’est une œuvre de jeunesse, mais impressionnante et travaillée dans le détail. Marthe et Jésus conversent à propos de Marie. Les couleurs des vêtements des trois figures sont contrastées.
  1. Henryk Siemiradski, 1886, Musée Russe, Saint-Pétersbourg, Russie. Cet artiste polonais est né près de Kharkiv en Ukraine, alors partie de l’Empire russe. Formé à Kharkiv et à Saint-Pétersbourg, il a vécu longtemps à Rome. Il a peint surtout des scènes de l’Antiquité et de la Bible. Ici, nous sommes à l’extérieur de la maison. On voit une table et un banc à l’entrée. Le paysage est développé, avec les plantes et les fleurs, le grand arbre et les oiseaux. Le tout baigne dans la lumière. Jésus et Marie sont en conversation, en première place. Marthe est carrément en retrait à gauche, à l’écart avec sa cruche, observant la scène. Cela donne un autre regard sur cette rencontre.
  1. Maurice Denis, 1896, Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg, Russie. Ce peintre français a été membre du groupe des Nabis, lancé par Paul Sérusier en 1888, sensible à la spiritualité et au symbolisme dans l’art. Catholique engagé, il fonde avec George Desvallières, en 1919, les Ateliers d’art sacré qui auront un rôle dans le renouveau. Ici, le cadre de la rencontre est un repas. Marthe debout porte un plateau de fruits (raisins et pommes, évoquant la rédemption). Marie est près d’elle, du même côté de la table, mais assise ou agenouillée devant Jésus. Les couleurs de leurs vêtements sont contrastées; mais Marie et Jésus ont les mêmes. Les trois ont la tête inclinée. Le paysage est celui de St-Germain-en-Laye, près de Paris, où l’artiste vivait. La coupe et la patène sur la table suggèrent une dimension eucharistique du repas. Au fond, Jésus et la Samaritaine près d’un puits sont esquissés. L’œuvre joue sur plusieurs registres.
  1. Robert Leinweber, c.1915, Museum of Fine Arts, Boston, États-Unis. Ce peintre allemand a été formé à Prague et Dresde. Il a vécu à Munich mais aussi plusieurs années en Tunisie. Il s’est spécialisé dans les scènes du Moyen-Orient et de la Bible, dans la ligne du courant orientaliste. Les trois figures sont alignées dans un espace extérieur : Marthe, avec sa cruche, debout et désignant Marie; celle-ci assise aux pieds de Jésus et un peu en recul; Jésus assis et regardant Marie. Là aussi, les vêtements de Marie et de Jésus ont la même couleur, en contraste avec Marthe. La lumière est omniprésente. Le cadre est celui d’un muret avec des plantes et d’une forêt, où quelqu’un marche.
  1. André Lecoutey, fresque, c.1937, réfectoire, Couvent dominicain St-Jean-Baptiste, Ottawa, Canada. Ce prêtre français, formé aux Ateliers d’art sacré, a vécu au Canada de 1946 à 1953. Il fut impliqué dans le renouveau de l’art sacré au Québec, avec Le Retable, à Joliette, regroupant plusieurs artistes; et il fut cofondateur de la revue Arts et Pensée. Cette belle et grande fresque, réalisée lors de son premier séjour au Canada, nous montre les trois figures, nimbées, autour d’une table : Marthe debout et servant, Marie agenouillée, et Jésus assis; une autre personne est au travail à l’arrière. L’armoire française au mur ajoute une note locale. Mais l’originalité de cette œuvre est de nous présenter ce qui n’a jamais été montré : Jésus qui va manger du maïs! Il ne semble pas trop surpris. C’est une inculturation unique : nous avons enfin le Seigneur au blé d’Inde.
  1. Gertrude Crête, 2000, encres acryliques sur papier, site interbible.org, Société Expo-Bible du Québec, Canada. Cette artiste québécoise, née près de Drummondville, était une Sœur de l’Assomption de la Sainte Vierge (s.a.s.v.). Elle est décédée en 2012, à l’âge de 97 ans. Formée aux Beaux-Arts à Québec et Montréal, elle a enseigné et a été active en plusieurs domaines : aquarelles, peintures, illustrations, verrières… Elle a réalisé une série, dont celle-ci fait partie : Les femmes de la Bible, porteuses du divin. On remarque la finesse du dessin et le jeu des couleurs. Les trois figures sont liées par le regard. Le gracieux paysage à l’arrière, le panier de fruits de Marthe, les fleurs de Marie, la cruche élancée et la table ronde, tout concourt à créer un espace de rencontre.
  1. Nathan Greene, 21ème siècle, site nathangreenestudio.com, États-Unis. Cet illustrateur originaire du Michigan, formé à Chicago, a travaillé pour plusieurs entreprises et maisons d’édition; il fut proche d’Harry Anderson, un artiste Adventiste réputé. Il fait maintenant des peintures de scènes bibliques, présentées en contexte contemporain ou de façon très vivante. Ses œuvres sont très utilisées dans les Églises nord-américaines. En celle-ci, le contexte de la rencontre est animé, avec des invités et un climat amical. Marthe et Jésus sont engagés dans un bon échange; la jeune Marie y porte attention. Dans l’espace restreint de cette demeure modeste, où tous les personnages sont rapprochés, la proximité de Jésus ressort. Comme s’il s’invitait chez nous …

Daniel Cadrin, o.p.


Dessin à tracer et à colorier

Voici un dessin simplifié en style vitrail, à tracer et à colorier, librement inspiré d’images traditionnelles.

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