Rencontres avec Jésus – La pécheresse pardonnée

Une réinterprétation numérique, librement inspirée d’une peinture de Dirk Bouts

Une nouvelle invitation à rencontrer Jésus, au travers de la pécheresse pardonnée!

LA PÉCHERESSE PARDONNÉE ET AIMANTE : Luc 7, 36 – 8,3

Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc – Chapitre 7

36 Un pharisien avait invité Jésus à manger avec lui. Jésus entra chez lui et prit place à table.

37 Survint une femme de la ville, une pécheresse. Ayant appris que Jésus était attablé dans la maison du pharisien, elle avait apporté un flacon d’albâtre contenant un parfum.

38 Tout en pleurs, elle se tenait derrière lui, près de ses pieds, et elle se mit à mouiller de ses larmes les pieds de Jésus. Elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et répandait sur eux le parfum.

39 En voyant cela, le pharisien qui avait invité Jésus se dit en lui-même : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse. »

40 Jésus, prenant la parole, lui dit : « Simon, j’ai quelque chose à te dire. – Parle, Maître. »

41 Jésus reprit : « Un créancier avait deux débiteurs ; le premier lui devait cinq cents pièces d’argent, l’autre cinquante.

42 Comme ni l’un ni l’autre ne pouvait les lui rembourser, il en fit grâce à tous deux. Lequel des deux l’aimera davantage ? »

43 Simon répondit : « Je suppose que c’est celui à qui on a fait grâce de la plus grande dette. – Tu as raison », lui dit Jésus.

44 Il se tourna vers la femme et dit à Simon : « Tu vois cette femme ? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m’as pas versé de l’eau sur les pieds ; elle, elle les a mouillés de ses larmes et essuyés avec ses cheveux.

45 Tu ne m’as pas embrassé ; elle, depuis qu’elle est entrée, n’a pas cessé d’embrasser mes pieds.

46 Tu n’as pas fait d’onction sur ma tête ; elle, elle a répandu du parfum sur mes pieds.

47 Voilà pourquoi je te le dis : ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, puisqu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour. »

48 Il dit alors à la femme : « Tes péchés sont pardonnés. »

49 Les convives se mirent à dire en eux-mêmes : « Qui est cet homme, qui va jusqu’à pardonner les péchés ? »

50 Jésus dit alors à la femme : « Ta foi t’a sauvée. Va en paix ! »

Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc – Chapitre 8

01 Ensuite, il arriva que Jésus, passant à travers villes et villages, proclamait et annonçait la Bonne Nouvelle du règne de Dieu. Les Douze l’accompagnaient,

02 ainsi que des femmes qui avaient été guéries de maladies et d’esprits mauvais : Marie, appelée Madeleine, de laquelle étaient sortis sept démons,

03 Jeanne, femme de Kouza, intendant d’Hérode, Suzanne, et beaucoup d’autres, qui les servaient en prenant sur leurs ressources.

Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris


Commentaire de l’Évangile

Par Daniel Cadrin, o.p.

Nous nous retrouvons avec Jésus dans une maison et pour un repas, en un lieu et un temps de rencontres, de partage convivial. Jésus va manger chez un pharisien qui l’a invité. Cela permet de réajuster notre image des relations de Jésus avec les pharisiens, influencée par Matthieu. Luc en fait un portrait plus nuancé : Jésus les fréquente (7,36; 11,37; 14,1) et certains étaient bien disposés envers lui (13,31).

Voici que le repas est troublé par l’arrivée d’une femme qui pose envers Jésus les gestes de l’hospitalité, avec ferveur. Jésus se laisse accueillir. Le pharisien en est choqué car cette femme est connue publiquement comme une pécheresse. Comment un homme religieux peut-il se laisser toucher par une impure?

Quel est le péché de cette femme, qui n’a pas de nom? Ce n’est pas indiqué. Jésus voit cette femme autrement que son hôte. Il ne dit pas d’abord à celui-ci que son regard n’est pas juste. Par une parabole, il l’invite à sortir de son cadre habituel de pensée, à regarder cette femme d’une manière plus profonde. La parabole sur la remise des dettes parle du pardon gracieux de Dieu et de ses fruits. La question de Jésus pose l’enjeu : qui aime le plus? La réponse du pharisien indique qu’il a bien saisi. Jésus fait ensuite les liens entre l’événement, les gestes de la femme, et la petite parabole, bien frappée. Le pardon transforme les personnes, il les rend capables d’aimer davantage.

Cette femme montre beaucoup d’amour envers Jésus. C’est qu’elle a reçu un grand pardon. Ses gestes témoignent de cette transformation qu’elle a vécue par le pardon. On interprète parfois ce récit dans le sens contraire : si elle est pardonnée, c’est parce que, auparavant, elle a beaucoup aimé. Mais ce n’est pas ce que dit la parabole, ni le commentaire de Jésus. Son hospitalité fervente est le fruit du pardon et non sa cause. Cette femme a confiance en Jésus, elle ose s’en approcher pour exprimer sa reconnaissance. Comme bien d’autres femmes dans les Évangiles, ce que Luc souligne.

Après la maison, nous reprenons la route de la mission (8,1) avec Jésus et ses disciples, pour proclamer le Règne de Dieu. Un groupe de femmes accompagne Jésus. Il était très rare à l’époque qu’un Maître soit ainsi entouré; Jésus n’est pas prisonnier des conformismes de son milieu. Plusieurs de ces femmes, fidèlement, se retrouveront au pied de la croix et au tombeau; elles accompagneront Jésus jusqu’au bout. Elles étaient probablement connues des premiers chrétiens, des lecteurs de Luc. On voit aussi que Jésus ne vit pas de l’air du temps : il est financièrement soutenu par ce groupe. L’une d’elles, Jeanne, vient de la haute société.

La fameuse Marie de Magdala est mentionnée : rien ne dit qu’elle est la femme sans nom présente au repas, ni qu’elle est pécheresse. Elle a été libérée de sept démons, ce qui indique plutôt une maladie grave. Luc dit de Jésus que les gens viennent à lui « pour l’entendre et se faire guérir de leurs maladies ; ceux qui étaient affligés d’esprits impurs étaient guéris » (6,18). « Jésus guérit beaucoup de gens de maladies, d’infirmités et d’esprits mauvais. » (7,21). En lien à ces esprits ou démons, Jésus guérit un enfant convulsé (9,42), un muet (11,14), une femme courbée (13,11). Ces guérisons ou libérations n’indiquent pas une position morale, une condition pécheresse.

Dans les autres onctions de Jésus, celle chez Simon le lépreux à Béthanie par une femme anonyme, sur la tête (Mt 26, 6-13; Mc 14, 3-9) et celle chez Marthe et Lazare à Béthanie par leur sœur Marie (Jn12, 1-8, cf. chronique précédente), l’enjeu est l’annonce de la Passion de Jésus et le gaspillage. Rien de tel en Luc 7 : il s’agit de pardon et d’amour.

Jésus se fait présent à un pharisien et à une pécheresse et les invite à une vie nouvelle, chacun à sa manière. Homme des rencontres, il fait rayonner la miséricorde de Dieu par-delà les frontières. Il est la visite de Dieu parmi son peuple, une visite qui réjouit et relance dans l’espérance : Va en paix. Où suis-je dans ce récit? Quel appel me fait-il entendre? Sûrement, à redécouvrir le pardon, à l’accueillir avec sa puissance libératrice et à porter des fruits de reconnaissance. Quel pardon reçu ou donné, dans ma vie, a été source de relèvement et d’amour, pour d’autres, pour moi?

La rencontre de grâce peut prendre des formes ordinaires ou plus inattendues : une parole qui m’encourage, un geste qui me relève, un courriel qui me touche, une image qui m’éveille, une célébration qui me pacifie, une rencontre qui m’engage, … Un signe de cette visite est clair : j’ai le goût d’accueillir et d’aimer davantage.

Images

L’onction de Jésus par une femme est racontée de manière différente dans les quatre évangiles (cf. chronique précédente sur Marie de Béthanie). Dans l’iconographie, abondante et de toutes les époques, les récits se sont emmêlés les uns aux autres. Celui de Luc 7 a des traits particuliers : la scène se passe dans la maison d’un Pharisien, dans le cadre d’un repas avec invités; la femme est connue comme une pécheresse; elle oint les pieds de Jésus et non la tête. La clé du récit est donnée par une parabole.

Cette scène plus spécifique, avec la pécheresse, est particulièrement populaire depuis le 16e siècle. Un repas festif chez un notable, des invités bien respectables, et une femme pécheresse aux longs cheveux, c’est très intéressant pour des peintres. Par ailleurs, la parabole est évincée : on n’en trouve pas trace.

  1. Dieric Bouts, c.1440-1445, Gemäldegalerie, Berlin, Allemagne. Ce peintre néerlandais, originaire de Haarlem, a travaillé à Louvain dont il fut nommé peintre officiel en 1468. Il est réputé pour son développement de la perspective. Dans cette œuvre de jeunesse, à gauche, on voit la femme avec son flacon, aux pieds de Jésus qu’elle essuie de ses cheveux. À la table : Jésus bénissant, le Pharisien s’interrogeant, Pierre surpris ou choqué, Jean pointant du doigt. À droite, près d’une fenêtre, un moine en blanc, probablement chartreux : le commanditaire de l’œuvre. À gauche, un balcon avec paysage; sur la table, du pain et des poissons; le plancher offre un carrelage géométrique. Le Pharisien est le seul qui porte des chaussures.
  1. Paolo Véronèse, c.1567-1570, Pinacothèque de Brera, Milan, Italie. Né et formé à Vérone, comme son surnom l’indique, il s’installe à Venise en 1553, dont il deviendra un grand nom comme Titien. Sa maitrise des couleurs et des formes et la vivacité de ses personnages se retrouvent dans ses scènes de banquet à Cana, à Emmaüs, à Béthanie, chez Levi. Celle-ci est moins réussie; mais là aussi, l’architecture est développée et les figurants sont nombreux, incluant enfants, serviteurs et animaux. La scène est actualisée dans l’univers vénitien. À gauche, Jésus avec ses disciples et la femme; devant lui, le Pharisien.
  1. Peter Paul Rubens, c.1618-1620, Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg, Russie. Peintre flamand, formé à Anvers, Rubens a voyage en Italie et a intégré l’art italien, comme celui de Véronèse. Il s’installe à Anvers d’où il rayonne par ses oeuvres religieuses et mythologiques, ses paysages et portraits. Ses personnages sont bien en chair, son style est vigoureux. Il travaille aussi comme diplomate. Il a influencé la suite de l’histoire de l’art. Jésus à droite parle au Pharisien à gauche, qui l’écoute avec attention. La femme, agenouillée et recueillie, est au centre, entre les deux. Les visages des invités à table sont très expressifs. Les serviteurs sont debout avec des plateaux. Au fond, une ouverture sur un ciel avec des nuages.
  1. Philippe de Champaigne, c.1656, Musée des Beaux-Arts de Nantes, France. Né et formé à Bruxelles, il s’installe en France et y travaille pour la famille royale et le cardinal Richelieu. Influencé par Rubens, il s’inscrit dans le style classique du 17e siècle, comme Poussin. Ses portraits sont célèbres. Il est proche du courant janséniste. L’espace architectural est très construit. Jésus, à gauche, montre la femme à ses pieds, recueillie, et explique son geste au Pharisien à droite. Chaque personnage a une expression différente. Au fond, un rideau entrouvert et une figure qui regarde la scène.
  1. Pierre Subleyras, 1737, Musée du Louvre, Paris, France. Ce peintre français, formé à Toulouse et Paris, a reçu le Prix de Rome en 1727 et s’y est installé. Influencé par Véronèse, à l’évidence, et aussi par Poussin, il a réalisé plusieurs œuvres religieuses. Voici le repas de fête, avec invités et serviteurs, table et vêtements, éléments d’architecture, dans une composition vivante et harmonieuse. Étonnamment, Jésus est à gauche, tourné vers la femme et non les convives. Discute-t-il avec Simon, derrière lui?
  1. Giovanni Domenico Tiepolo, 1752, Staatsgalerie, Würzburg, Allemagne. Ce peintre a poursuivi l’héritage baroque de son père, Giovanni Battista Tiepolo, peintre italien le plus important du 18e. On y retrouve le sens des couleurs et du mouvement, la vivacité et la finesse. Un Christ plutôt jeune, proche de celui de l’Antiquité, explique le geste de la femme, concentrée et près de lui, à une masse d’hommes assez âgés et peu amènes. Pierre et Jean sont proches. Le Pharisien, de dos, est seul à son côté de table; on ne voit pas sa réaction.
  1. Jean Béraud, 1891, Musée d’Orsay, Paris, France. Ce peintre français, né à Saint-Pétersbourg, a réalisé plusieurs portraits et fut proche de figures connues de l’époque. Ses scènes de la vie parisienne montrent la bourgeoisie avec précision et une certaine ironie. Voici un groupe d’hommes habillés de noir. Simon le Pharisien préside la table au centre, avec une serviette au cou. Jésus, en blanc et noir, comme la servante à droite, explique le sens du geste de la femme. Celle-ci, en blanc, est étendue au sol. Le contraste est saisissant. Chaque personnage est une figure publique précise de l’époque : ainsi l’écrivain rationaliste Ernest Renan (Simon le Pharisien), le militant socialiste Antoine Duc-Quercy (le Christ), la courtisane et danseuse Anne-Marie Liane de Pougy (la femme), et d’autres comme l’historien Hippolyte Taine, le romancier Alexandre Dumas fils, et Jean Béraud lui-même. Cette actualisation des personnages suscita de vives réactions! L’interprétation de l’œuvre est demeurée controversée.
  1. Arthur Ernst Becher, 1954, site imagesforjesus.com, États-Unis. Cet illustrateur américain, né en Allemagne, a travaillé pour plusieurs grands magazines et éditeurs. Il a aussi réalisé des scènes bibliques. Ici, Jésus échange avec le Pharisien qui prend la parole. Ils sont installés sur des divans pour un repas festif, avec quelques invités, dans une belle maison ouvrant sur un paysage. La femme est aux pieds de Jésus. Un serviteur apporte un plat. L’accent est sur la contextualisation de la scène.
  1. Mosaïque, c. 1970-1990, église supérieure, Basilique de l’Annonciation, Nazareth, Israël. Cette église a été terminée en 1969 et est dédiée à Marie. Elle est la plus grande église chrétienne au Moyen-Orient. Elle contient plusieurs œuvres de divers pays, particulièrement des mosaïques. L’origine de celle-ci m’est inconnue. Jésus, au centre, est à table avec d’autres figures. La femme est à ses pieds, son visage tourné vers lui. La phrase en latin, Tes péchés sont pardonnés, va en paix, indique clairement qu’il s’agit ici de la pécheresse pardonnée en Luc 7.
  1. Andrei Mironov, 2020, site artmiro.ru, Russie. Ce peintre fait des œuvres religieuses à la fois s’inspirant de la tradition et très personnelles, avec des personnages intenses ou inhabituels. Le Christ regarde Simon le Pharisien et s’adresse à lui, en montrant la femme pècheresse de sa main gauche. Comme pour Thomas (dans une chronique précédente), Simon est vu de dos. La femme semble jeune. La mère debout à côté du Christ, en service et ressemblant à la jeune femme, symbolise l’Église de l’Ancienne Alliance; et l’enfant avec elle, l’Église de la Nouvelle Alliance, tournée vers le Christ. Les deux colonnes au fond évoquent le Père et l’Esprit soutenant le Fils. Le jardin et la montagne derrière le Christ annoncent l’érection d’une autre colonne, la croix de notre salut. Dans son commentaire, l’artiste cite Jésus : Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs à la conversion (Lc 5, 32). Et le pardon suscite amour et paix …

Daniel Cadrin, o.p.


Dessin à tracer et à colorier

Ci-dessous un dessin simplifié à tracer et à colorier, librement inspiré d’une peinture de Dirk Bouts, un peintre et dessinateur sud-néerlandais.


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