Rencontres avec Jésus – Jean Baptiste en prison

Illustration : Adaptation numérique d’une peinture de Gérard de Saint-Jean

Une nouvelle invitation à rencontrer Jésus, au travers du questionnement de Jean Baptiste en prison.

JEAN BAPTISTE EN PRISON ET S’INTERROGEANT : Matthieu 11, 2-15

Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu – Chapitre11

02 Jean le Baptiste entendit parler, dans sa prison, des œuvres réalisées par le Christ. Il lui envoya ses disciples et, par eux,

03 lui demanda : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »

04 Jésus leur répondit : « Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez :

05 Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle.

06 Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! »

07 Tandis que les envoyés de Jean s’en allaient, Jésus se mit à dire aux foules à propos de Jean : « Qu’êtes-vous allés regarder au désert ? un roseau agité par le vent ?

08 Alors, qu’êtes-vous donc allés voir ? un homme habillé de façon raffinée ? Mais ceux qui portent de tels vêtements vivent dans les palais des rois.

09 Alors, qu’êtes-vous allés voir ? un prophète ? Oui, je vous le dis, et bien plus qu’un prophète.

10 C’est de lui qu’il est écrit : Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour préparer le chemin devant toi.

11 Amen, je vous le dis : Parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le royaume des Cieux est plus grand que lui.

12 Depuis les jours de Jean le Baptiste jusqu’à présent, le royaume des Cieux subit la violence, et des violents cherchent à s’en emparer.

13 Tous les Prophètes, ainsi que la Loi, ont prophétisé jusqu’à Jean.

14 Et, si vous voulez bien comprendre, c’est lui, le prophète Élie qui doit venir.

15 Celui qui a des oreilles, qu’il entende !

Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris


Commentaire de l’Évangile

Par Daniel Cadrin, o.p.

Jean Baptiste est présent dans les Évangiles à plusieurs moments: dans l’enfance de Jésus (Lc 1), comme prêcheur de la conversion et au baptême de Jésus (Mt 3); puis vient son arrestation (Mt 4,12). Dans une chronique l’hiver dernier (Jean le dérangeant : Luc 3, 10-22), nous avons vu Jean le prophète, homme de parole et de la Parole, qui annonce et baptise le Messie. Mais nous arrivons maintenant à une nouvelle étape : en prison, son questionnement sur Jésus. La prochaine et dernière sera son exécution (Mt 14, 1-11).

Jean a fait son travail et il l’a bien fait. Homme du passage vers une vie nouvelle, il a préparé le chemin. Par ses options, il a ouvert la voie à l’accueil de Jésus: l’insistan­ce sur la décision personnelle, l’ouverture aux gens de toute condition, l’affirmation de la priorité du Règne de Dieu. Jésus lui-même, baptisé par Jean, a repris son style et son message au début de son ministère; il s’est inscrit dans sa ligne. Jésus le reconnaît dans ce récit de Matthieu où il exprime son admiration pour le prophète du désert, le plus grand parmi les hommes.

Mais Jean est l’homme du jugement de Dieu qui s’en vient et sera terrible. Les puissants et ceux qui refusent de changer vont passer par le feu. Or, Jésus vient : il parle et il agit d’une toute autre manière. Qu’est-ce qui se passe ? Où est ce Messie tant attendu qui va enfin rétablir le droit ? C’est pourquoi, en prison, Jean en vient à se questionner, à douter de Jésus. « Es-tu celui qui doit venir? » Pourtant, il avait pres­senti que ce Jésus serait le libérateur. Mais il est dérouté par ce que Jésus dit et fait: Jésus souligne la miséricorde et la libération déjà en œuvre, comme sa réponse l’indique, plus que la grande finale des règlements de compte.

La question de Jean face à Jésus rejoint celle de beaucoup de gens aujourd’hui. II y a un attrait mais en même temps un doute. Car Jésus est déroutant et ne correspond pas aux images que nous nous faisons d’un guide religieux ou poli­tique. Il n’irradie pas la force et le contrôle, mais le don et le service. Et même des chrétiens se posent parfois cette ques­tion: faisons-nous fausse route, faut-il chercher ailleurs, chez un autre, le sens à nos vies? Et les autres sont là, disponibles. C’est comme si Jésus lui-même devenait un obstacle, un scandale, pour Jean (comme pour nous) et risquait de le faire dévier de son chemin. Jean espérait un grand nettoyage, et vite. Mais une autre voie se dessine, plus lente, plus compatissante et moins raide que prévue. Par ailleurs, Jésus et Jean seront réunis dans un même sort: ils seront tous deux exécutés car ils dérangent.

En ce temps de l’Avent, Jean le baptiseur, cette figure du seuil, à la croisée des chemins, un pied dans l’ancienne alliance et l’autre dans la nouvelle, peut nous inviter à porter attention à Jésus, à sa singularité et aux signes qu’il accomplit ; à ce qui peut dérouter nos attentes, nous poser question. En quoi Jésus me déroute-t-il moi aussi ? Dans ses paroles, ses actions, sa personne, qu’est-ce qui me laisse songeur, m’invitant à méditer et réfléchir, dans ma cellule intérieure, et à aller plus loin ?

Celui qui doit venir à Noël vient déjà dans nos vies. Sa présence est à l’oeuvre dans ce que nous pouvons entendre et voir: des yeux qui s’ouvrent, des pieds qui se mettent en marche, des exclus qui se retrouvent au centre, des oreilles qui se met­tent à entendre, des coeurs qui battent à nouveau. Ces signes que Jésus mentionne, quels sont-ils aujourd’hui, au proche ou au lointain de mon univers personnel et social?

Jean envoie ses disciples poser une question radicale à Jésus : Es-tu Celui … Dans l’histoire, certains des disciples de Jean ont répondu à sa question d’une autre manière que les deux (Jn 1,35-37), dont André, qui ont suivi Jésus. Ils ont répondu que Jésus n’était pas Celui qui devait venir; et ils sont demeurés fidèles à Jean Baptiste. Ce mouvement religieux existe toujours. Les Mandéens (ou Sabéens) ont traversé les siècles, vêtus de blancs pour leurs rites baptismaux, menant une vie communautaire et près de cours d’eau, dans la reconnaissance de Jean, et non pas Jésus, comme l’Envoyé de Dieu. On les retrouve en Irak et en Iran. Pacifistes, ils ont été persécutés et dispersés durant les dernières décennies. Finalement, la voix de Jean Baptiste se fait encore entendre : elle continue de déranger et de poser question …

Images

Jean Baptiste est très présent tout au long de l’histoire de l’art chrétien (cf. chronique mentionnée) : de l’enfance au baptême de Jésus, en passant par sa prédication, puis avec sa mort suite au banquet d’Hérode; sans compter sa figure individuelle en plusieurs arts visuels, ou avec Marie aux pieds de la croix, les deux annonçant et préparant la venue du Messie et de l’Alliance nouvelle.

Mais qu’en est-il plus spécifiquement de la figure de Jean en prison, comme dans ce texte? On trouve cette scène surtout au Moyen Âge, ainsi qu’aux 16e-17e siècles. Jean Baptiste est patron de plusieurs églises, édifices et cités, d’où des séries sur sa vie, incluant son arrestation. On y voit Jean-Baptiste derrière des barreaux, ses disciples avec qui il converse, des soldats. Parfois il est seul. L’édifice peut être plus ou moins élaboré.

Voici quelques œuvres, surtout des périodes indiquées.

  1. Herrade de Landsberg, c.1175-1185, Flabellum of Hohenbourg, f.1dv, British Museum, Londres, Angleterre. Ce parchemin provient de la même auteure que le manuscrit Hortus deliciarum (Le jardin des délices), c.1170-75, œuvre d’Herrade de Landsberg, abbesse du monastère d’Hohenbourg (Mont St-Odile), et première encyclopédie réalisée (textes et dessins) par une femme. Le Flabellum comprend huit tableaux de la vie de Jean Baptiste. Il est considéré comme un ajout à Hortus deliciarum. Ici, nous voyons Jean nimbé, poussé en prison ou accompagné de disciples; puis assis et méditatif dans sa cellule, derrière les barreaux.
  1. Mosaïques, c.1280, coupole, Baptistère Saint-Jean-Baptiste, Florence, Italie. Ce baptistère a été inauguré en 1128; il est rempli d’œuvres médiévales et renaissantes. Jean Baptiste est le saint patron de la ville de Florence. Plusieurs artistes ont contribué à ces quinze mosaïques sur la vie de Jean Baptiste, dont Cimabue. Celles-ci (9 et 10) sont attribuées, mais de façon incertaine, à Gaddo Gaddi, mosaïste et peintre de Florence, de style gothique. On voit Jean Baptiste emprisonné, sous la garde de soldats; puis, avec un texte en main gauche, envoyant ses disciples. Deux possibilités se présentent pour cet envoi. Ils sont nimbés (possiblement André et Jean); alors ils ne vont pas questionner Jésus mais font une visite amicale à leur ex-maître. Ou simplement, les disciples de Jean partagent son auréole; et ils vont aller questionner Jésus.
  1. Andrea Pisano, bronzes, 1330-36, porte sud, Baptistère Saint-Jean-Baptiste, Florence, Italie. Cette porte comprend 28 bronzes, dont 20 scènes de la vie de Jean Baptiste et les 8 vertus, cardinales et théologales. Pisano est un orfèvre et sculpteur, aussi un architecte, influencé par Giotto et Duccio et le gothique français. Il a travaillé six ans sur cette porte. Ces deux bronzes (nos 12 et 13) montrent : à gauche, Jean conduit en prison, avec des gardes, la grille est levée; à droite, Jean visité par ses disciples, la grille est fermée.
  1. Giusto de Menabuoi, fresque, c.1378, Baptistère Saint-Jean-Baptiste, Cathédrale de Padoue, Italie. Originaire de Florence et marqué par Giotto, cet artiste a travaillé à Padoue. Ce baptistère du 14e siècle, dédié à saint Jean Baptiste, inclut un cycle de fresques sur sa vie. Dans celle-ci, Jean, derrière les barreaux, donne ses consignes à ses deux disciples qu’il envoie questionner Jésus.
  1. Giovanni di Paolo, 1455-60, Art Institute of Chicago, États-Unis. Ce peintre de Sienne, influencé par le gothique international, a aussi été miniaturiste et a illustré des manuscrits. Il avait un intérêt pour la nature, les plantes et animaux. Il a fait plusieurs retables, avec prédelles, dont les panneaux ont été séparés et dispersés. Cette œuvre faisait partie d’une prédelle sur la vie de Jean Baptiste. La perspective et l’architecture sont développés. Jean, emprisonné, s’adresse à deux disciples, dont l’un est éploré. Deux figures sont à l’arrière. Un animal est bien installé à l’avant, mais enchainé; avec possibilité d’une autre chaîne à gauche.
  1. Juan Fernandez Navarrette, 1565-1570, Musée de l’Ermitage. Saint-Pétersbourg, Russie. Ce peintre espagnol était sourd-muet; jeune, il a appris à s’exprimer par le dessin. Il a été élève du Titien à Venise. Puis il a travaillé pour la famille royale d’Espagne, à l’Escorial. Il a fait plusieurs séjours en Italie. Ce Jean Baptiste en prison est costaud, différent de l’ascète souvent décharné. Ses mains sont attachées et il médite devant une croix.
  1. Simao Rodrigues, c.1600-1625, Musée National d’Antigua & Barbuda, St.John’s, Antigua. Cet artiste portugais, actif à Lisbonne, fut engagé dans le courant de la Contre-Réforme; il fut lié aux Jésuites présents aux Indes et en Angola. Cette œuvre fait partie d’une série de quatre tableaux sur la vie de Jean Baptiste (naissance, prédication à Hérode, prison, décapitation). À droite, dans la scène de prison, Jean envoie ses disciples; des soldats sont présents. À gauche, on voit les deux disciples qui transmettent la question à Jésus; Jésus leur répond par son geste montrant les gens autour de lui. Tous les éléments du texte sont visuellement inclus, avec précision.  
  1. Mattia Preti, fresque, 1661-1666, Co-Cathédrale Saint-Jean-Baptiste, La Vallette, Malte. Originaire de la Calabre et formé dans les courants caravagesque et baroque, Preti a travaillé à Rome et Naples. Mais surtout à Malte, où il fut le peintre officiel de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, dont il devint membre. Il a peint de nombreuses fresques à la voute de la cathédrale, sur une période de cinq ans. C’est dans un oratoire de cette église que se trouve l’œuvre maitresse, ou la plus estimée, du Caravage, qui fut brièvement membre de l’Ordre : La décollation de saint Jean Baptiste (1608). Dans la fresque, Jean se trouve en un cachot plus dégagé et s’adresse à deux disciples fervents.
  1. Claude-Noël Thévenin, 1837, Cathédrale Saint-Pierre, Ville de Saint-Flour, France. Ce peintre de l’Isère a été à Paris l’élève d’Abel de Pujol, du courant néoclassique. Il s’est consacré à la peinture historique et religieuse. Cette cathédrale du diocèse (1317) de Saint-Flour est une église gothique du 15e siècle. Jean Baptiste est en prison. Thévenin met ensemble le début et la fin de son ministère. Les attributs habituels de Jean sont là : la peau de chameau, le bâton-croix du précurseur, l’agneau qu’il a désigné (Voici l’agneau de Dieu, Jn 1,36). Mais sa mort imminente est annoncée : le bourreau arrive avec la hache et un plat, le juge avec la sentence, la fille d’Hérodiade et une servante pour apporter sa tête. Jean est en prière, tourné vers Dieu; mission accomplie.
  1. Berna, 2019, site evangile-et-peinture.org, Suisse.  Comme Bernadette Lopez fait le tour du cycle liturgique pour illustrer les évangiles, elle a mis en image Jean Baptiste en prison (Année A, 3e dimanche de l’Avent). Il est plus rare de trouver des œuvres récentes pour cette scène. Jean est seul, assis et méditant. Il est entouré des couleurs de l’Avent, avec une fenêtre de lumière. Avec lui, nous pouvons prendre un temps pour faire le point et entrer en attente …

Daniel Cadrin, o.p.


Dessin à tracer et à colorier

Ci-dessous un dessin simplifié à tracer et à colorier, librement inspiré d’une peinture de Gérard de Saint-Jean.

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