Rencontres avec Jésus …dans la tempête, en pleine mer!

« Silence, tais-toi ! » Une illustration de l’atelier Dominique-Emmanuel

Une nouvelle invitation à rencontrer Jésus, en pleine mer!

UNE RENCONTRE EN MER, QUI QUESTIONNE : Marc 4,35 – 5,1

Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc– Chapitre 4

35 Ce jour-là, le soir venu, il dit à ses disciples : « Passons sur l’autre rive. »

36 Quittant la foule, ils emmenèrent Jésus, comme il était, dans la barque, et d’autres barques l’accompagnaient.

37 Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait.

38 Lui dormait sur le coussin à l’arrière. Les disciples le réveillent et lui disent : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? »

39 Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : « Silence, tais-toi ! » Le vent tomba, et il se fit un grand calme.

40 Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? »

41 Saisis d’une grande crainte, ils se disaient entre eux : « Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »

01 Ils arrivèrent sur l’autre rive, de l’autre côté de la mer de Galilée, dans le pays des Géraséniens.

Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris


Commentaire de l’Évangile

Par Daniel Cadrin, o.p.

Les disciples, qui suivent Jésus, ont plusieurs occasions de le rencontrer, au fil des jours, sur les routes et dans les lieux publics et privés. Puis il y a des temps forts, comme celui sur la montagne, à quelques-uns, dans l’éblouissement et la lumière (cf. dernière chronique). Mais il y a aussi des expériences plus inquiétantes, comme cette histoire de tempête, avec une barque assaillie et des disciples qui ont peur. Et tout cela se passe en pleine nuit!

Chacun de nous passe à travers des temps de crise personnelle, habituellement liés à une transition qui touche nos relations, notre travail, notre habitat, nos valeurs et modes de vie. Mes certitudes s’écroulent, mon image de moi-même ne tient plus, la confusion s’installe. Ces crises et leurs passages sont cruciaux dans toute expérience spirituelle. Ils sont le matériau même de nos conversions et du mystère pascal au cœur de nos existences.

Mais les collectivités peuvent aussi vivre des crises et des passages : famille, groupe d’amis, réseau de gens engagés, communauté chrétienne, mouvement, comité paroissial, … Elles doivent affronter des temps d’éclatement des liens coutumiers et des repères rassurants, qui leur donnaient une identité. La solidarité se défait, les convictions ne sont plus partagées, ou simplement le groupe ne sait plus qui il est, quelle est sa mission, ni où il s’en va. La désorientation, qu’elle soit causée par des facteurs externes ou par une crise interne, nourrit la crainte. Le groupe se sent menacé dans son existence même.

C’est d’une telle crise communautaire que Marc nous parle dans son récit de la tempête apaisée. La symbolique de la barque évoque la communauté des disciples avec son Maître Jésus. Ils sont ensemble et loin de la foule anonyme. L’enjeu de ce récit est donné clairement par Jésus : Passons sur l’autre rive (v.35). Il s’agit d’un passage à vivre, comme groupe. Et ce passage sur une autre rive ne sera pas facile. Il est même assez terrifiant! La mer, dans la Bible, n’est pas un lieu de loisir agréable ni un espace indifférent. C’est un lieu de dangers, rempli de forces hostiles. Sa symbolique évoque la mort et le mal. Ce n’est pas par hasard que, dans le livre de l’Apocalypse (21,1), des cieux nouveaux et une terre nouvelle sont annoncés mais non une mer nouvelle : elle a disparu! Autre façon, dans la logique symbolique, d’annoncer la victoire de la vie sur la mort.

Au cœur de la crise des disciples en barque, se vit une expérience déchirante et profonde : le sentiment que le Christ les a abandonnés et qu’il est insensible à leur sort. Ils vont périr et ils se tournent vers Jésus endormi pour crier leur détresse avec vérité et véhémence, sans mettre de gants blancs (v.38). En ce temps extrême, Dieu est absent. La communauté va disparaître. La suite des événements transforme cette situation. Jésus est présent et agissant, malgré leur sentiment. Il agit envers la mer exactement comme il le fait avec des possédés (Mc 1, 25-27) par une parole qui libère et suscite le questionnement. La puissance même de Dieu est à l’œuvre en Jésus (Ps 88 [89], 10.26; Ps 106 [107], 28-30).

Quel est l’effet de cette crise? Quel passage permet-elle de vivre? À la fin, les disciples s’interrogent sur Jésus. Ils se posent une question vraie et nouvelle, qui peut transformer leur regard : Qui donc est-il? Et Jésus lui-même indique le passage crucial : celui de la peur à la foi, à la confiance. Ainsi, le contraire de la foi, ici, n’est pas le doute, l’ignorance ou l’incroyance, mais la peur. Comme si la peur d’avancer vers l’avenir, avec son inconnu, minait la foi d’une communauté plus que tout. Comme si, pour aller plus loin, il nous fallait nous interroger à nouveau, avec étonnement et admiration, sur le mystère de Jésus. Comme si la panique et le sentiment que tout est fini risquaient de vite nous engloutir.

Mais ce récit montre aussi d’autres dimensions des passages. En pleine détresse, les disciples ont crié vers Jésus, sans retenue. Comme si cette parole, dans son âpreté même, était nécessaire pour que la conscience de la présence de Jésus puisse à nouveau apparaître. Et au bout du voyage, les disciples arrivent finalement sur l’autre rive, ce qui était l’objectif premier. Quelle est cette terre nouvelle qui les attend? Ils arrivent au pays des Géraséniens (5,1), en terre païenne. Ils ne sont plus dans leur monde familier, mais en un territoire autre, celui de la mission. Comme si la mission ne pouvait advenir sans un difficile passage par la désorientation, le sentiment de tout perdre, puis l’accès à une foi plus profonde, plus confiante, celle-là même qui rend capables d’être témoins.

Et nous, dans nos communautés, groupes et réseaux, quels passages sommes-nous appelés à vivre, pour quelle mission? Est-ce que j’ai déjà vécu une tempête avec d’autres? Qu’est-ce qui nous menaçait et qu’est-ce qui nous a aidés à passer de la peur à la confiance? Sur quelle rive nouvelle sommes-nous débarqués? Passages qui nous ouvrent le cœur et l’esprit, où le mystère pascal poursuit son travail de création nouvelle dans nos vies personnelles et communautaires.

Images

Des images de ce récit se retrouvent à toutes les époques et dans tous les styles. Il offre des éléments dramatiques et visuellement intéressants : une mer agitée, une barque avec des gens apeurés, un maitre qui dort puis qui apaise la tempête, des disciples qui vivent un apprentissage, … Il y a de quoi nourrir l’inspiration et le travail des artistes!

Jésus est présent dans la barque d’abord comme dormant puis comme agissant. On peut montrer l’un de ces moments ou les deux. Les réactions des disciples peuvent être présentées avec vivacité et diversité ou plus comme celles d’un groupe homogène. La barque peut avoir l’air d’une petite chaloupe ou d’un navire plus imposant. La mer peut être évoquée avec quelques vagues et poissons ou fortement décrite avec ses flots en furie. Comme les vents sont ici des forces hostiles, que Jésus menace et contrôle, ils peuvent aussi prendre forme.

Voici quelques oeuvres du 10e au 21e siècle. L’arrivée sur l’autre rive, avec son défi, n’est pas incluse dans ces images.

  1. Miniature, Codex Egberti, 980-990, fol.24r, Bibliothèque municipale de Trèves, Allemagne. Ce lectionnaire a été fait par le scriptorium de l’Abbaye bénédictine de Reichenau pour Egbert, archevêque de Trèves. Il comprend 51 miniatures. Ici, comme en plusieurs oeuvres médiévales, le début et la suite du récit sont montrés : on voit Jésus endormi, à gauche, et Jésus réveillé menaçant les vents, à droite. Ceux-ci sont personnifiés. Pierre, Jean et Jacques, ses proches, sont avec Jésus dans la barque.
  1. Miniature, Évangéliaire de Hitda, c.1000-1020, cod.1640, fol.117r, Hessische Landesbibiliothek, Darmstadt, Allemagne. Ce manuscrit a été fait par le scriptorium de Cologne à la demande de l’Abbesse Hitda pour la liturgie de son monastère de chanoinesses à Messesche en Rhénanie. Les 22 miniatures sont chacune sur une pleine page. Jésus dort tranquillement au milieu de la barque, son manteau débordant; il est entouré des douze apôtres, nimbés et effrayés, dont l’un d’eux touche l’épaule de Jésus pour l’éveiller. Le navire, avec ses rames visibles, semble dans les airs et porté en avant par la tempête, avec ses voiles au vent. En bas à droite, il risque de sortir du cadre! C’est une œuvre très stylisée, exprimant la tempête et l’apaisement.
  1. Rembrandt van Rijn, 1633, localisation inconnue. Cette peinture était au Isabella Stewart Gardner Museum, à Boston, où elle a été volée en 1990. Elle date des débuts du peintre à Amsterdam. C’est sa seule œuvre navale. La scène est dramatique. Le navire, plus qu’une simple barque, est menacé par une forte vague. Lumière et ténèbres s’affrontent. Nous sommes au milieu du récit : Jésus est éveillé et calme, mais le vent règne encore. Les douze sont affairés ou près de Jésus. À l’avant, l’un d’eux vomit. Un autre se tient au cordage et nous regarde; son visage est celui du peintre.
  1. Eugène Delacroix, 1853, Metropolitan Museum of Art, New York, États-Unis. Ce peintre fut une figure centrale du courant romantique dans l’art du 19e siècle français. Son travail sur les couleurs a influencé plusieurs artistes de la période moderne. Il a fait plusieurs versions de cette scène. Ici, tout est en mouvement et l’environnement bleu-gris, ciel-mer-terre, est menaçant. Jésus dort paisiblement dans la barque alors que les disciples sont énervés. L’un à l’avant s’accroche; d’autres affolés et bras levés vont le réveiller. Mais un disciple lui aussi dort tranquille, près de Jésus.
  1. William Hole, 1906, The Life of Jesus of Nazareth: eighty pictures, Eyre & Spottiswoode, London. Ce peintre et graveur écossais a été marqué par le préraphaélisme, un mouvement anglais du 19e siècle, attaché aux peintres italiens avant Raphaël et n’appréciant pas sa Transfiguration (cf. chronique précédente). Hole a illustré la Bible, après avoir voyagé en Terre Sainte pour connaitre les lieux. Ici, la mer est dangereuse. Jésus, à l’avant du navire, commande aux flots de se calmer. Les disciples, en plan rapproché, sont affairés au contrôle du navire. Le moment du questionnement viendra après.
  1. Giorgio de Chirico, 1914, Musée du Vatican, Rome. Cet artiste italien, formé à Athènes et Munich, a vécu en France et en Italie. Il fut un innovateur, controversé, s’inscrivant dans le courant métaphysique et le mouvement surréaliste, puis plutôt dans le néo-classicisme. Jésus, rayonnant et vêtu de rouge, est bien endormi à l’arrière de la barque. Un disciple va le toucher à l’épaule pour le réveiller et demander son aide. Les autres sont occupés avec la voile et le gouvernail. La terre est proche. La forme de la barque avec sa voile ainsi que l’environnement de la mer et du ciel expriment l’intensité et le mouvement de cette traversée.
  1. Eularia Clarke, 1963, site eulariaclarke-co.uk, Angleterre. Cette artiste de Londres s’est convertie au catholicisme en 1959, à 45 ans. Elle a illustré les Évangiles, en les actualisant de façon vivante et percutante. Elle est décédée en 1970. Jésus, en rouge, est engagé dans un dur combat contre des forces du mal hostiles et nombreuses. La barque est submergée par l’eau. Les disciples sont pris dans des cordes et liens qui les enchainent et menacent leur survie. Le moment de l’apaisement n’est pas encore arrivé.
  1. Jim Janknegt, 1990, site bcartfarm.com, États-Unis. Cet artiste du Texas fait des œuvres très sensibles au contexte contemporain, marqué par la vie urbaine, la violence et le commerce. Il s’est aussi converti au catholicisme, en 2005. La barque est prise dans un tourbillon de vagues et de vents agressifs, avec des disciples apeurés. Mais le Christ, à l’arrière, est agissant pour maitriser les éléments. Sa parole est écrite en rouge : Be not afraid (N’ayez pas peur). En bas, à gauche, des édifices suggèrent le monde actuel.
  1. He Qi, 1998, site heqiart.com. Cet artiste chinois, formé à Nanking et Hambourg, vit maintenant en Californie. Il a été très engagé dans l’Association asiatique des artistes chrétiens. Il allie des approches traditionnelles chinoises avec des éléments de l’art contemporain. Nous sommes ici au moment final. Le bleu domine et apaise. Jésus, aux bras étendus, domine la mer et ses menaces. Une colombe avec une branche d’olivier, disant la paix, est au-dessus de sa tête, comme après le déluge (Gn 8,11). Formes et couleurs s’unissent dans l’harmonie.
  1. Hanna-Cheriyan Varghese, 2000, site hanna-artwork.com, Malaysie. Cette artiste de Malaysie a été aussi engagée dans l’Association asiatique des artistes chrétiens. Elle est décédée en 2008. Elle a été présente déjà dans cette chronique (Samaritaine, Emmaüs). La scène est montrée de front. Les douze apôtres sont inquiets et agités, comme la mer. Mais le Christ à l’arrière, bras étendus, le crucifié et le ressuscité, porteur de lumière, maîtrise la situation. Une colombe est au-dessus de sa tête, comme à son baptême (Mc 1,10).
  1. Pierre Lussier, 2016, site pierrelussier-peintre.com, Canada. Ce peintre de Québec, membre du Racef, est attentif à l’environnement naturel et à l’interaction entre les figures, avec finesse et intériorité. Pierre, Jean et Jacques entourent Jésus qui dort paisiblement. Ils vont le réveiller pour qu’il vienne à leur secours. La barque est entourée de vagues vives et périlleuses. Mais du visage de Jésus et de la douceur des couleurs mêmes de l’œuvre, une paix émerge.
  1. Marie Courbe-Micollet, icône, 2020, site atelier-peinture-icones.fr, France. L’art de cette iconographe s’inscrit dans la tradition orthodoxe russe. Ici, comme dans des œuvres anciennes, on voit toute la séquence : Jésus, en rouge et bleu, tenant en main le rouleau de la Parole, dort, à gauche; puis au centre, il apaise la tempête. L’artiste a écrit : « Cette icône peinte en mars et avril 2020 m’a accompagnée et soutenue pendant ce temps de confinement. J’ai mis le plus de personnes possibles dans ce bateau où nous sommes, il me semble, tous ensemble appelés à passer sur l’autre rive. » Et nous pouvons, nous aussi, y embarquer …

Daniel Cadrin, o.p.


Un avis sur « Rencontres avec Jésus …dans la tempête, en pleine mer! »

  1. Une chance unique, Monsieur Daniel Cadrin que de se laisser voyager ainsi à travers ces siècles de productions artistiques et d’y connaître des œuvres artistiques porteuses d’un ou de l’autre des aspects de ce récit évangélique Un enrichissement qui comble mon regard d’artiste toujours actif surtout avec un groupe de 8 à 10 artistes actives avec ateliers mensuels depuis près de 15 années. Merci cordial à vous, Monsieur Cadrin pour ce courriel d’une si grande richesse culturelle Souhaitant qu’il soit porteur, pour Vous, de la joie de transmettre, qui , très vite, invite à l’intériorité. J’y ai goûté!….

    A vous , mon respectueux ADieu

    Louise Dumontiercsc

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