Nous continuons notre série d’articles dans le cadre de notre toute nouvelle rubrique présentant des parcours d’artistes chrétiens.
Partager le processus de création d’œuvres illustrant les Évangiles est pour nous une manière de transmettre et de perpétuer la pratique de l’art chrétien.
La formule est simple : nous proposons aux artistes d’écrire un texte détaillant le processus de création d’une œuvre ou de plusieurs œuvres portant sur des scènes des Évangiles. En accompagnant leur texte de photos de leurs œuvres et si possible des différentes étapes de création de l’œuvre.
Cette fois-ci, dans cette troisième rubrique, nous avons invité l’artiste Annette Huot à partager son processus de création :
Pour comprendre ma façon de travailler comme artiste, il faut faire le lien avec mon parcours de vie. Les arts visuels ont toujours fait partie de mes intérêts par le biais de divers ateliers auprès d’artistes professionnels et lors de mes études en sciences à l’université. Parallèlement à une formation scientifique (Baccalauréat (1975) et Doctorat en Biochimie (1978), Certificat en Environnement (1997)) s’est ajoutée au fil des ans une formation en Sciences humaines (Certificat en pédagogie collégiale (1997) et Maîtrise en éducation (1997)).
A la retraite après quarante années d’enseignement au niveau collégial et universitaire, l’idée de retourner aux études s’est traduite par une inscription en 2022 en Arts visuels au Cégep de Joliette. Je voulais au départ améliorer surtout le dessin mais ça m’a amenée plus loin… Des cours de dessin, couleur, peinture, photographie, sculpture et histoire de l’art ont permis d’améliorer ma créativité et d’ouvrir de nouveaux horizons.
Un jour, lors de ces études, j’ai rencontré Anne-Marie Forest du RACEF à la Cathédrale de Joliette, voisine du Cégep. Elle m’a parlé de ce groupe d’artistes en art religieux et c’est ainsi que j’en suis devenue membre.
Mes premières peintures à l’huile durant les années soixante-dix représentaient surtout des paysages. Durant les années 1980 à 2000, j’ai adopté l’acrylique car je trouvais l’huile toxique dans l’air environnant mes jeunes enfants. Par la suite, avec l’arrivée du substrat Yupo en 1999, de nouvelles possibilités s’offraient pour une création plus intuitive et moins rationnelle de mes peintures. Ce substrat de polypropylène, à l’épreuve de l’eau et résistant aux taches, déchirures et gondolements est idéal pour les techniques d’aquarelle et d’encre. Il demande cependant un lâcher-prise de la part de l’artiste car il ne peut plus tout contrôler. En effet comme il n’absorbe ni l’eau ni les pigments, l’œuvre se construit par l’artiste et par elle-même!
De par ma formation scientifique et de chercheure, j’étais très rationnelle et je voulais me détacher de cet aspect de moi pour faire une plus grande place à l’intuition dans ma peinture.
En appliquant les couleurs sur le Yupo, c’est la sensibilité de la journée qui s’exprime. De cette abstraction produite par les formes, les couleurs et les textures, naissent des éléments figuratifs qui ne demandent qu’à éclore. La plupart du temps, les sujets ne sont donc pas consciemment choisis mais plutôt développés par la suite. Le fait de travailler avec le Yupo m’a obligée à explorer des sujets bien plus variés que les paysages et m’a permis de m’améliorer comme artiste en dépassant mes limites. En résumé, le point commun de mon parcours de vie est l’intérêt pour l’exploration et la recherche qui relie la carrière scientifique, l’enseignement et le goût pour les arts. Je suis donc devenue comme artiste, une synthèse de toutes ces expériences.
PROCESSUS DE CRÉATION DES ŒUVRES « RABBOUNI! » ET « LE TOMBEAU OUVERT »
Le tombeau ouvert
L’œuvre « Le tombeau ouvert », est la première que j’ai faite pour le RACEF. Je l’ai choisie parce que j’aime beaucoup le roc, les pierres et les minéraux. Durant plusieurs années, avec une amie géologue, nous partions à la recherche de roches et minéraux. J’en ai fait toute une collection. Comme le tombeau de Jésus a été creusé dans le roc, c’est ce qui m’a attiré au départ. L’aquarelle sur le Yupo se prête particulièrement bien à la création de textures imitant le roc et les pierres. Cette œuvre me permettait donc d’être en terrain connu en utilisant toutes mes aptitudes à travailler l’aquarelle sur le Yupo. Plusieurs textures minérales à peu près impossibles à réaliser avec l’acrylique et l’huile sur toile le sont avec cette technique. C’était donc idéal pour cette œuvre et en plus, j’étais en terrain connu, je me sentais en confiance et j’ai donc débuté par un croquis au crayon graphite:

Puis, j’ai fait des essais de texture qui me permettraient d’exécuter l’œuvre qui au départ ressemblait aux images ci-dessous, plutôt abstraite. Par la suite, certains éléments ont émergé. Je me laissais guider par les textures créées sur le Yupo par les pigments d’aquarelle et d’eau ainsi que par le croquis que je ne devais pas perdre de vue.




Lentement, par petits ajouts, retraits et tâtonnements, l’image du tombeau ouvert a commencé à se former. Patience, encore patience, souci des détails, lâcher-prise ! Plusieurs détails sont venus s’ajouter comme le montre l’évolution dans les deux figures suivantes du processus. Mais ce n’était pas terminé, il fallait continuer d’améliorer, de rendre « vivantes », j’allais dire « vibrantes » toutes ces pierres, ce roc ! Après tout, c’était le tombeau de Jésus que j’étais en train de peindre.


Il manquait cependant cette petite touche mystérieuse, cette lumière comme une vapeur de lumière parsemée de petits pigments dorés (visibles seulement sur l’œuvre physique) dans la porte du tombeau. Vapeur de lumière comme une trace laissée par le corps lumineux de Jésus ressuscité. C’est ce que j’ai trouvé le plus difficile à faire, car aussitôt qu’on touche à l’aquarelle qui a séché sur le Yupo, on altère tout ce qui est en dessous, à moins d’user d’une extrême délicatesse et de s’y reprendre à plusieurs fois. Je tenais beaucoup à ce détail mais à un moment donné, je me désespérais d’y arriver. Je me suis retournée vers l’image de Jésus que j’ai dans l’atelier et je lui ai dit : « Jésus, aide-moi, j’ai confiance en toi ! ». J’étais fatiguée mais j’ai fait un dernier essai. Il me fallait laisser sécher et il était tard. Je suis revenue le lendemain matin et j’ai versé des larmes en voyant le résultat. Ça y était enfin, j’avais eu de l’aide… Alors, voici l’œuvre terminée, construite non seulement par l’artiste et l’œuvre elle-même mais avec l’aide de l’Esprit :
La première œuvre aquarelle était donc terminée, j’étais contente du résultat. Alors, j’ai débuté le croquis de la seconde :
« Rabbouni »

Début novembre à mi-novembre 2024 : j’ai vécu une période de procrastination. Je repoussais continuellement le début du travail avec l’aquarelle sur le Yupo, j’étais stressée. En voulant représenter Marie-Madeleine et Jésus, je dérogeais du lâcher-prise total auquel j’étais habituée depuis une vingtaine d’années. Je sortais encore une fois de ma zone de confort et cela m’a apporté beaucoup d’insécurité tout au long de la réalisation de l’œuvre. J’ai enfin réussi à surmonter ce sentiment et cette attitude qui avait duré une semaine environ. J’ai débuté en mettant en place sur mon abstraction les positions du tombeau et des deux personnages. J’ai fait le tombeau en premier. J’avais moins peur, je venais d’en faire une œuvre complète. Puis, j’ai fait les éléments de paysage, là aussi, je me sentais plus à l’aise grâce à ma période « paysages » des années soixante-dix à quatre-vingt dix.


Mi-novembre 2024 : A chaque jour quand je viens travailler l’œuvre dans mon atelier, je demande à l’esprit saint de m’aider et je prononce : « Jésus, j’ai confiance en toi ». J’ai beaucoup de peurs de ne pas rendre vraiment cette scène du matin de la résurrection. J’y mets tout mon cœur et mon ardeur. Le tombeau et les montagnes sont bien amorcés mais je sais que je devrai les améliorer. La recherche de la source de la lumière me préoccupe. Elle arrive de l’horizon un peu à gauche du centre de l’œuvre. Elle poursuit son chemin à travers les collines, éclaire le côté gauche du tombeau puis arrive aux personnages. Je dois en tenir compte dans la façon d’éclairer les personnages. J’ai ensuite une autre période de procrastination, je me sentais incompétente pour faire des personnes qui s’approchent de la réalité. Dans les faits, faire des visages en aquarelle sur Yupo est vraiment très difficile. Surtout si on essaie qu’ils soient très figuratifs. Beaucoup de pensées négatives sur ma capacité à réussir cette œuvre m’assaillaient. Je demande alors l’aide d’en haut. Je mets la musique de Mozart. Et …j’ose enfin débuter le personnage de Jésus ! J’esquisse aussi très finement la silhouette de Marie-Madeleine en trempant mon pinceau mouillé et dessinant avec lui sur les pigments aquarelle déjà en place. J’améliore ensuite Jésus, je peins quelques fleurs du bouquet dans son bras droit. Je veux ce personnage de l’œuvre comme un Jésus avec un corps de lumière, un vrai corps car on sait qu’il sera touché par Thomas, qu’il mangera avec les disciples d’Emmaüs. Mais il est aussi un corps de lumière car ressuscité. J’essaie de rendre le plus possible cette double identité dans le personnage. Rendre lumineux tout en conservant l’aspect d’un corps. En ce sens, Jésus doit être plus lumineux que Marie-Madeleine dont surtout le visage sera plus illuminé. Je me sens un peu soulagée, je suis quand-même satisfaite de mon personnage de Jésus même si j’ai dû lutter contre des idées négatives qui me retardaient dans ma peinture. Je sais bien que je vais le retoucher plus tard.


Je débute alors plus sérieusement la silhouette de Marie-Madeleine. Je l’imagine assez jeune, cheveux longs bien sûr. Elle a tellement pleuré lorsqu’elle ne retrouvait plus le corps de Jésus. Elle était désespérée. Elle apportait les aromates pour le soin du corps. Il ne faut pas que j’oublie de peindre un vase d’aromates. Je l’imagine aussi jolie, brune. Elle est accroupie et probablement qu’elle l’était encore plus il y a un moment, pleurant son Jésus disparu dont le corps avait été enlevé du tombeau. Marie-Madeleine n’a pas un corps de lumière, elle a seulement un corps de chair, j’ai voulu faire ses vêtements plus opaques, lumineux là où la lumière arrive bien sûr mais moins lumineux que ceux de Jésus. Je n’oublie pas de mettre le vase d’aromates, probablement en albâtre. Je retravaille quelques détails, par exemple, les oliviers en fleurs au printemps, quelques détails dans les collines, les pierres à gauche du tombeau. Je n’ai jamais vu de vrais oliviers, alors j’ai dû me documenter, regarder des photographies. Je suis assez contente de ceux que j’ai peints.
Quand Jésus se présente, elle est certaine qu’il s’agit du jardinier et lui demande où il a transporté le corps. Alors Jésus lui dit : « Marie » et elle le reconnaît en s’exclamant : « Rabbouni ! ». Dans le décor, les arbres à l’arrière de Jésus sont des oliviers en fleurs. C’est le printemps, le jardin regorge de fleurs. J’ai voulu mettre un bouquet dans la main et le bras droit de Jésus. Les fleurs représentent la joie, la vie. On pourrait imaginer qu’il va offrir ce bouquet à Marie-Madeleine pour lui signifier d’arrêter de pleurer, pour la rassurer qu’il est bien vivant tel qu’il l’avait promis.


Fin novembre 2024 : et voilà, j’ai terminé, oui, je sens que j’ai terminé. Je ne croyais pas y arriver, il y a eu beaucoup de découragement, mais je n’ai jamais cessé de poursuivre malgré tout, d’ajouter et d’enlever à plusieurs reprises des petits détails. Le résultat y est. Il me reste la finition, fixer les pigments aquarelle sur le Yupo puis vernir. Au moment de photographier, je sais qu’il est difficile de prendre de bonnes photographies car la surface du yupo est réfléchissante, le rendu est habituellement décevant pour moi. Je voulais que les 2 personnages ainsi que le tombeau soient mis en évidence, que Jésus soit lumineux et que le visage de Marie-Madeleine s’éclaire quand elle a dit Rabbouni ! Le fait d’avoir peint Jésus me rappelle lorsque j’avais 11 ans, en classe, j’avais dessiné le visage de Jésus avec sa couronne d’épines. La professeure l’avait mis en haut du tableau pour le reste de l’année scolaire. C’est un beau souvenir qui vient de surgir et qui était enfoui bien loin dans ma mémoire. Je réalise, émue, que Jésus était dans ma vie depuis tout ce temps !

« RABBOUNI ! », une oeuvre d’Annette Huot
PROCESSUS DE CRÉATION DE L’ŒUVRE « PASSAGE »
Lors des rencontres pour la planification de l’exposition « Chemin de croix : Chemin de vie », nous avons voulu comme groupe d’artistes mettre l’accent sur un chemin de croix qui n’est plus seulement la condamnation, l’agonie, la crucifixion et la mort de Jésus mais aussi sur sa résurrection, d’où « Chemin de vie » qui s’est ajouté à la dénomination habituelle de « Chemin de croix ». Je parcourais tous les versets bibliques concernant ces évènements et il me semblait qu’il manquait un trait d’union entre « Chemin de croix » et Chemin de vie ». Par cette œuvre « Passage » j’ai voulu illustrer ce trait d’union, cet entre-deux s’étendant entre la mort de Jésus le vendredi et sa résurrection le matin du dimanche de Pâques. Il n’y a pas de verset biblique relatant cette période mais nous retrouvons quelques mots y référant dans la prière du « Je crois en Dieu ». Ainsi, nous disons en parlant de Jésus : « a été crucifié, est mort et a été enseveli, est descendu aux enfers, le troisième jour est ressuscité… ». Pour nous, la mort représente le néant, le froid, la noirceur, la peur aussi. D’où le noir prédominant dans l’œuvre et le froid de la surface du panneau de PVC sur laquelle l’œuvre est imprimée. Nous entrons dans l’œuvre par un encadrement noir comme nous entrons dans la mort dans la noirceur, comme quand Jésus est descendu aux enfers. Mais, Jésus par le sacrifice de sa vie sur la croix est justement venu nous ouvrir ce passage vers nos résurrections. Ainsi, après cette période transitoire de grande noirceur, nous pouvons voir apparaître des rayons de lumière nous guidant vers ce fameux passage vers la vie éternelle promise par Jésus. Jésus ressuscité est lumière, c’est pourquoi cette œuvre est faite à partir de lumière et non de peinture par pigments.
LE CORPS DEVIENT LE PINCEAU QUI PEINT AVEC LA LUMIÈRE
Dans un studio de photographie dont le sol et le mur étaient recouverts de toile noire, je me suis revêtue de vêtements noirs auxquels j’avais cousu des petites lumières de couleurs différentes comme le montre la première photographie (position stationnaire). Une caméra Nikon D 3100 a été utilisée et les photographies furent prises en longue exposition de 10 à 15 secondes. La photographie finale de l’œuvre a été imprimée sur un panneau de PVC noir de 24 X 24 pouces.
En position stationnaire, il n’y a pas de traces de lumière, seulement la position et la couleur de chaque lumière sur la personne vêtue de noir. Quand le mouvement s’amorce, de petites traces se forment et plus les mouvements prennent de l’amplitude, plus les traces de lumière sont longues comme le montre la dernière photographie. L’œuvre passage a été obtenue par ce processus danse/lumière/photographie longue exposition.

Position stationnaire


Mouvement 1 Mouvement 2


Mouvement 3 Mouvement 4
Après plusieurs essais et mises au point, je me suis mise à danser lentement au début puis plus rapidement et avec d’amples mouvements. Plusieurs photographies ont été prises par une aide technique. L’une de ces photographies est devenue l’œuvre « PASSAGE » car elle représentait pour moi ce qu’est le passage entre la mort et la vie.

« PASSAGE« , une oeuvre d’Annette Huot
Les oeuvres d’Annette Huot décrites dans cet article sont exposées durant les mois d’été à l’église Saint-Jacques de Montcalm, du jeudi au dimanche de 11 h à 17 heures.
102 rue St Jacques, à St Jacques, (Québec)
https://racef.art/2025/07/08/leglise-de-saint-jacques-accueille-chemin-de-croix-chemin-de-vie/
Vous êtes cordialement invité.e.s à visiter cette nouvelle exposition itinérante du RACEF intitulée : « Chemin de croix, chemin de vie ».
Restez branchés sur le site du RACEF pour être informés des nouveaux lieux de diffusion, l’expo se retrouvera au Cap-de-la-Madeleine en automne 2025.

