Une nouvelle invitation à rencontrer Jésus, au travers de sa relation avec les pharisiens!
LES PHARISIENS ET JÉSUS : DU PERMIS AU POURQUOI : Matthieu 22, 15-22
Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 22, 15-22
15 Alors les pharisiens allèrent tenir conseil pour prendre Jésus au piège en le faisant parler.
16 Ils lui envoient leurs disciples, accompagnés des partisans d’Hérode : « Maître, lui disent-ils, nous le savons : tu es toujours vrai et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité ; tu ne te laisses influencer par personne, car ce n’est pas selon l’apparence que tu considères les gens.
17 Alors, donne-nous ton avis : Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ? »
18 Connaissant leur perversité, Jésus dit : « Hypocrites ! pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ?
19 Montrez-moi la monnaie de l’impôt. » Ils lui présentèrent une pièce d’un denier.
20 Il leur dit : « Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles ? »
21 Ils répondirent : « De César. » Alors il leur dit : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »
22 À ces mots, ils furent tout étonnés. Ils le laissèrent et s’en allèrent.
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris
Commentaire de l’Évangile
Par Daniel Cadrin, o.p.
Dans les Évangiles, nous voyons Jésus appeler ses disciples, rencontrer des malades et des veuves, manger avec des publicains. Mais Jésus y rencontre aussi plusieurs figures qui s’opposent à lui ou gardent leur distance. Particulièrement les membres de mouvements religieux qui ont leurs propres points de vue et leurs adhérents. Cela donne lieu à des débats et parfois des polémiques. Nous pouvons autant nous identifier à eux qu’aux autres figures plus accueillantes : nous portons leurs questions et leurs doutes.
Ici en Matthieu, nous avons une controverse, i.e. une discussion entre Jésus et des leaders sur une question morale ou religieuse. On la retrouve en Marc (12, 13-17) et en Luc (20, 20-26). Deux groupes sont présents. Les Pharisiens, un mouvement de juifs pieux, cherchent à vivre la fidélité à Dieu par des pratiques encadrant la vie quotidienne; ils sont réservés face au pouvoir romain. Les Hérodiens forment un groupe plus politique, partisans d’Hérode Antipas, qui règne sur la Galilée; ils sont favorables au pouvoir romain. Ces deux groupes habituellement sont opposés l’un à l’autre. Mais ici, ils joignent leurs forces pour piéger Jésus. Ils ne veulent pas entrer avec lui dans un vrai débat mais le coincer. Leur première affirmation, par ailleurs, dit la vérité à propos de Jésus, même si ce n’est qu’une astuce rhétorique : Maître, tu es toujours vrai et tu enseignes le vrai chemin de Dieu … Voilà une confession de foi paradoxale!
Leur question relève de l’ordre du permis et du défendu. Elle est très précise dans son approche et demande une réponse claire : oui ou non, est-il permis? Allez, éclaire-nous. Si Jésus répond oui, il a l’air d’un collaborateur des Romains et le peuple n’aimera pas cela. S’il répond non, il se met dans le trouble du côté de l’autorité romaine. Dans les deux cas, les groupes s’empresseront de le dénoncer. On va t’avoir, petit prophète de Galilée…
Comme il le fait souvent dans les Évangiles, Jésus n’entre pas dans leur logique. Dans son regard sur le monde, il n’est pas un utopiste naïf. Il voit clair et tout de suite situe les choses en vérité : Hypocrites, vous essayez de me piéger! Il ne leur répond pas par oui ou non, ce qui ferait le jeu de leurs catégories étroites, mais par d’autres questions: Pourquoi? De qui est cette effigie? Il met ainsi une distance entre lui et le piège et il insère un temps de réflexion qui change l’enjeu.
Puis sa réponse vient, déroutante: elle n’est pas celle que les pharisiens et hérodiens attendaient. Il les appelle à rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Jésus situe les choses autrement, non dans la logique du permis-défendu mais dans une perspective plus vaste, où Dieu est à l’horizon, où César est à sa place, où tout ne revient pas au même. Jésus déplace les enjeux et ramène à l’essentiel. Et il renvoie les gens à eux-mêmes, à leur choix personnel et à leur responsabilité. Ils ont eux-mêmes reconnu l’effigie de César. Il conclut par un appel qui les concerne : Vous, rendez à …
Les deux groupes d’opposants sont étonnés (v.22); ils sont pris à leur propre piège! Mais ils ont dit vrai à propos de Jésus au début de leur intervention: Jésus enseigne le vrai chemin de Dieu. Et il le fait non seulement par le contenu de ses enseignements mais par ses approches, par les démarches qu’il met en oeuvre auprès de ses disciples, des foules, d’opposants, d’individus. Sa façon d’accompagner, d’éveiller et d’éduquer, est aussi importante que ce qu’il dit.
Ici, dans ce débat, il nous offre un chemin à suivre pour affronter certaines questions dans la société, dans l’Église, en nos milieux, et même celles que nous nous posons en dedans de nous. Quand nous lui demandons des réponses claires : oui ou non, qu’est-ce qui est permis et défendu? Il nous répond alors par de nouvelles questions, pour que nous sortions de notre monde étroit, pour que notre regard voit plus loin, pour que nous assumions notre liberté.
Sa Parole nous déroute et nous renvoie à nous-mêmes, à nos choix de vie, à nos responsabilités. Elle resitue nos recherches dans un horizon plus vaste, où Dieu est présent, où Dieu est premier. La Parole de Jésus nous fait entrer dans une autre logique, celle du Royaume. Passer du permis au pourquoi : voilà le vrai chemin de Dieu.
Images
Dans les controverses, autour de questions morales et religieuses, la parole prend plus de place que l’action. Sur le plan visuel, c’est moins attrayant ou inspirant! Par ailleurs, on peut y faire des portraits des individus et groupes qui discutent avec Jésus. Mais ici s’ajoute un élément concret plus précis : la pièce d’argent, un denier, à l’effigie de l’empereur romain, à l’époque Tibère. Dans les œuvres d’art, la présence de cette monnaie permet d’identifier la scène évangélique. Autrement, comme plusieurs controverses se trouvent dans les Évangiles, il n’est pas évident de savoir laquelle est montrée dans telle œuvre, à moins d’une citation explicite.
C’est surtout au 17e siècle que ce récit autour de l’impôt à payer a suscité l’intérêt des artistes, et de leurs commanditaires. Il y a sûrement des raisons d’ordre politique et religieux, liées à des enjeux sociaux et ecclésiaux, qui ont favorisé cet essor. Le titre est souvent : Denier de César, Tribut à César.
Dans les images, on peut porter attention à certains éléments. Comment les Pharisiens sont-ils présentés (leurs traits, attitudes, vêtements), sont-ils nombreux ou quelques uns? Entre autres, il est intéressant de noter la variété de leurs couvre-chefs : vient-elle de l’observation des gens du Proche-Orient et/ou de l’imagination des artistes ?! Quel visage de Jésus ressort (expression, geste, regard), ses disciples sont-ils avec lui? La pièce d’argent elle-même (habituellement petite). Quel est le lieu de la rencontre : est-il évoqué, absent, ou plus élaboré? Dans les Évangiles, la scène se situe dans l’enseignement de Jésus au Temple de Jérusalem.
Voici des œuvres du 15e au 21e siècle, et surtout du 17e, dont deux se trouvent au Canada (Rembrandt à Ottawa, Champaigne à Montréal).
- Vrancke van der Stockt, c.1455-1459, Tryptique de la Rédemption, détail, Musée du Prado, Madrid, Espagne. Cet artiste de Bruxelles s’inscrit dans la lignée de Roger van der Weyden, à qui il succéda comme peintre officiel de la ville. Son œuvre principale, le Tryptique de la Rédemption, porte sur la Crucifixion et le Jugement dernier et comprend plusieurs autres éléments dont cette grisaille sur le tribut à César. À gauche, Jésus lève une main vers le ciel et pointe l’autre vers la pièce de monnaie; Pierre, derrière lui, tient en main un boulier. À droite, on voit trois figures d’âge différent dont l’un montre à Jésus la pièce et en tient d’autres, près de sa bourse. Leurs vêtements et chapeaux sont élaborés. En bas, des citations de l’Évangile.
- Tiziano Vecellio (Le Titien), c.1516, Staatliche Kunstsammlungen, Dresde, Allemagne. Ce grand peintre de Venise a eu une longue vie (1488-1576). Cette oeuvre date de sa jeunesse, mais de l’année où il succéda à Bellini comme peintre de la ville. Maître du portrait, il ne montre que deux figures : un homme, avec une boucle à l’oreille, qui présente à Jésus une pièce de monnaie; et Jésus qui le regarde avec intensité. La monnaie est juste entre leurs deux mains. Les couleurs et la lumière soutiennent l’expressivité de la scène. Le tout est saisissant.
- Bartolomeo Manfredi, c.1610-1620, Galleria degli Uffizi, Florence, Italie. Originaire de Lombardie, Manfredi a vécu surtout à Rome. À l’évidence, il a été marqué par Le Caravage, dont il fut peut-être l’élève. Il a joué un rôle majeur pour répandre son influence en Italie et en France. Jésus et les sept personnages qui l’entourent sont tous situés dans un clair-obscur qui fait ressortir leurs visages. La discussion se fait surtout entre Jésus, vêtu de rouge, et l’homme en blanc, au turban, tenant la monnaie. La figure à droite semble nous regarder.
- Peter Paul Rubens, c.1612, Fine Arts Museum of San Francisco, État-Unis. Ce peintre flamand a séjourné en Italie et s’est familiarisé avec les œuvres de Raphael, Le Titien, Le Caravage. Par la suite, lui-même a marqué l’art occidental par son sens des couleurs. Son atelier d’Anvers fut très actif. Voici une oeuvre forte avec ses figures très diverses dans leurs positions et expressions, mais avec des regards intenses. Les têtes et ce qu’elles portent sont travaillées. Les regards vont dans toutes les directions. Jésus en rouge et lumineux éclaire la scène. Il tient la pièce d’argent en sa main droite. De l’autre, il indique le ciel : Rendez à Dieu … Cette œuvre est souvent utilisée pour montrer la controverse autour du denier de César.
- Joachim Wtewael, 1616, Collection privée. Ce peintre d’Utrecht aux Pays-Bas a été marqué par le courant maniériste. Il a fait plusieurs œuvres historiques et mythologiques. Celle-ci est de petite taille (16 x 25 cm). La scène est très animée. Plusieurs figures sont en mouvement et échangent entre elles. Un seul discute avec Jésus qui semble faire un pas de danse. La variété des couvre-chefs est intéressante. Des enfants sont présents. À la différence des œuvres précédentes, le lieu est souligné en arrière-fond : le temple avec son architecture complexe.
- Rembrandt van Rijn, 1629, Musée des Beaux-Arts du Canada, Ottawa. Cette œuvre a été faite alors que Rembrandt, âgé de 23 ans, n’était pas encore à Amsterdam mais dans sa ville natale de Leyde. Déjà les traits de son style unique se donnent à voir. Dans un temple sombre à la colonne impressionnante, Jésus est au centre et rayonne de lumière. Il est entouré de sept figures : celui près de lui tient la pièce de monnaie; le dernier à droite détourne le regard. D’autres à l’arrière sont témoins de la scène. Là aussi, Jésus lève la main vers le ciel pour inviter à rendre à Dieu ce qui est à Dieu.
- Bernardo Strozzi, 1630, Musée des Beaux-Arts de Budapest, Hongrie. Ce peintre de Gènes est entré chez les Capucins, qu’il quitta pour s’occuper de sa famille. Il ne réintégra pas la communauté, fut emprisonné, et s’enfuit à Venise; il y poursuivit sa carrière avec succès et fut surnommé le prêtre génois. Il a touché à tous les genres : fresques, portraits, scènes religieuses ou historiques … D’abord maniériste, il fut influencé par Le Caravage et surtout par Rubens. Jésus en rouge, qui a un air plus jeune, est engagé dans une discussion animée avec plusieurs Pharisiens; l’un d’eux tient la pièce d’une main et en tient d’autres dans la main près de sa bourse. Lumière et couleurs sont traitées avec attention, les figures sont expressives et vivantes. Un enfant à gauche nous regarde et établit le lien entre l’œuvre et nous.
- Philippe de Champaigne, c.1663-1665, Musée des Beaux-Arts de Montréal, Canada. Natif de Bruxelles et influencé par Rubens, ce peintre a travaillé en France. Comme Poussin, il fut un maître du style classique du 17e siècle, avec un souci d’équilibre et de rigueur, d’harmonie des couleurs et des formes. Très religieux, il fut proche de Port-Royal et du courant janséniste. Jésus est entouré de sept figures, concentrées et attentives à la discussion. Deux portent des phylactères (citations des Écritures) sur leur couvre-chef. L’un d’eux montre à Jésus la monnaie. Celui-ci, vêtu d’un bleu royal, pointe d’une main vers la monnaie et de l’autre vers le ciel. Son regard est déterminé. À droite, une ouverture montre ciel et nuages. Voici une œuvre faite avec soin.
- Gerbrand van den Eeckhout, 1673, Musée des Beaux-Arts de Lille, France. Ce peintre et graveur néerlandais a été formé à l’atelier de Rembrandt, dont il fut l’élève préféré. Un Pharisien, plus grand par son turban élevé, présente à Jésus la pièce de monnaie. Un enfant est assis à ses pieds. Jésus est au centre, main levée vers le ciel pour indiquer sa réponse (rendre à Dieu). Pierre, crâne nu, est près de lui. À gauche, livre en mains, un Maître est assis. À droite, deux figures discutent près d’une table; l’un est assis. La diversité des figures et de leurs attitudes, sans compter l’habituelle variété des couvre-chefs, donne de la vie à la scène. L’environnement est développé : murs et colonnes du temple, planchers de pierre et de bois.
- James Tissot, c.1886-1894, Brooklyn Museum, États-Unis. Ce peintre français a mis en images la majorité des scènes évangéliques, en les situant dans leur paysage et leur contexte qu’il a observés et étudiés. Un véritable groupe de leaders religieux entoure Jésus pour le prendre au piège. Ils sont sérieux, résolus, et bien-coiffés; plusieurs sont âgés. Jésus, en blanc comme il est fréquent chez Tissot, indique d’une main la pièce de monnaie et de l’autre pointe vers le ciel. Des témoins regardent à distance. Selon l’usage de Tissot, le tout est situé dans un cadre architectural détaillé.
- Jacek Malczewski, 1908, Musée National de Poznan, Pologne. Formé à Cracovie et à Paris, ce peintre a joué un rôle important dans l’art de son pays. Attaché à l’histoire de la Pologne, il a aussi contribué au développement du mouvement symboliste. Il a fait quelques œuvres religieuses. Comme celle de Titien, celle-ci s’inscrit dans l’art du portrait. Des visages très expressifs, campés, sans décor. L’homme à droite présente la pièce de monnaie tirée de sa bourse. Celui de gauche en tient une aussi. Jésus ne regarde pas mais pointe la pièce de sa main droite. De la gauche, il tient un bâton, celui du pèlerin. Le visage de Jésus est concentré vers l’intérieur. Il ressemble à celui de l’auteur, qui a fait plusieurs autoportraits. Son fils Rafal, lui aussi peintre, a émigré au Canada durant la 2e guerre mondiale; il est mort à Montréal en 1965.
- Berna, 2020, site évangile-et-peinture.org, Suisse. Avec ses images aux couleurs vives et aux figures en mouvement, Bernadette Lopez donne à voir tous les évangiles des trois années du cycle liturgique. Ici, à l’avant-scène, sur un fond jaune, une main présente la fameuse pièce de monnaie à l’effigie de César. Jésus regarde et la pointe du doigt. Sa bouche est ouverte : il offre sa parole à ses auditeurs. Autour de lui, on voit des visages attentifs, à l’écoute. À l’arrière, dans les couleurs mauves, d’autres se devinent : peut-être toi, et nous, appelés à passer du permis au pourquoi et à rendre à Dieu ce qui est à Dieu …
Daniel Cadrin, o.p.
Dessin à tracer et à colorier
Ci-dessous un dessin simplifié à tracer et à colorier, inspiré d’une illustration de James Tissot.
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