
Illustration librement inspirée d’une icône traditionnelle
Une nouvelle invitation à rencontrer Jésus, au travers de la scène de la multiplication des pains
SUR L’HERBE, DE LA FOULE À LA COMMUNAUTÉ : Marc 6, 32-44
Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc – Chapitre 6, 32-44
32 Alors, ils partirent en barque pour un endroit désert, à l’écart.
33 Les gens les virent s’éloigner, et beaucoup comprirent leur intention. Alors, à pied, de toutes les villes, ils coururent là-bas et arrivèrent avant eux.
34 En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de compassion envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. Alors, il se mit à les enseigner longuement.
35 Déjà l’heure était avancée ; s’étant approchés de lui, ses disciples disaient : « L’endroit est désert et déjà l’heure est tardive.
36 Renvoie-les : qu’ils aillent dans les campagnes et les villages des environs s’acheter de quoi manger. »
37 Il leur répondit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Ils répliquent : « Irons-nous dépenser le salaire de deux cents journées pour acheter des pains et leur donner à manger ? »
38 Jésus leur demande : « Combien de pains avez-vous ? Allez voir. » S’étant informés, ils lui disent : « Cinq, et deux poissons. »
39 Il leur ordonna de les faire tous asseoir par groupes sur l’herbe verte.
40 Ils se disposèrent par carrés de cent et de cinquante.
41 Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction et rompit les pains ; il les donnait aux disciples pour qu’ils les distribuent à la foule. Il partagea aussi les deux poissons entre eux tous.
42 Ils mangèrent tous et ils furent rassasiés.
43 Et l’on ramassa les morceaux de pain qui restaient, de quoi remplir douze paniers, ainsi que les restes des poissons.
44 Ceux qui avaient mangé les pains étaient au nombre de cinq mille hommes.
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris
Commentaire de l’Évangile
Par Daniel Cadrin, o.p.
Le récit de la multiplication des pains se trouve dans les quatre évangiles (Mc 6, 32-44; Mt 14, 13-21; Lc 9, 10-17; Jn 6, 1-15). Chacun met en lumière certains traits particuliers. Mais ils ont beaucoup en commun : Jésus nourrit une foule avec cinq pains et deux poissons; la foule est nombreuse (5,000), installée sur l’herbe, et constituée en groupes plus petits; il reste à la fin douze paniers. Après le miracle, Jésus se retire avec ses disciples, seul, loin de la foule. Les évangiles synoptiques (Marc, Matthieu, Luc), avec les formules employées, font ressortir la dimension eucharistique du repas; en Jean, ce récit est suivi par le long discours sur Jésus, pain de vie (Jn 6, 26-59).
Dans les synoptiques, la scène se passe le soir. Et les disciples, ou les Douze (apôtres), ont un rôle actif dans l’organisation de la foule et la distribution de la nourriture. En Jean, ce rôle est mentionné plutôt pour la cueillette des restes à la fin (6, 12-13). Marc (6,34) et Matthieu (14,14) soulignent la compassion de Jésus. En Luc (9,14) et Marc (6,40), la foule est partagée en groupes d’une cinquantaine, formant chacun une tablée. Les synoptiques portent attention au contraste entre deux dynamiques, celle de l’achat et celle du don, ce qui est finalement le cœur de ce récit. Jean (6,9) inclut un élément qui est riche de sens : les pains et poissons viennent d’un garçon; ainsi, c’est d’un jeune que provient le don qui va nourrir la foule. Marc (6,39) mentionne que l’herbe est verte, ce qui ajoute une note plus festive et vivante à ce pique-nique convivial.
On trouve aussi en Marc (8, 1-10) et Matthieu (15, 32-39) un deuxième récit des pains multipliés. Il a des points communs avec le premier (compassion, foule en groupes, rôle des disciples) et des différences (4,000 hommes, sept pains et sept paniers). La fonction de ce doublet, dans chaque évangile avec sa propre démarche catéchétique, est sûrement précise mais elle n’est pas évidente.
Le récit des pains multipliés nous présente plusieurs visages de Jésus. Nous le voyons d’abord se retirant dans la solitude. Puis, rejoint par la foule, il entre en relation avec les gens et il enseigne ou accomplit des guérisons. Ensuite, il entre en dialogue avec ses disciples sur des questions de nourriture et d’argent, et plus encore de don. Le tout culmine dans une interaction avec la foule et avec ses disciples : le pain est rompu et partagé. La clé de ces diverses actions de Jésus est donnée au début: il est saisi de compassion envers la foule. Cette attitude profonde, qui vient des entrailles, est précédée d’un regard. Jésus a les yeux bien ouverts, il voit les besoins de ces gens. Et sa compassion ne reste pas en l’air : elle se fait active, elle prend soin des personnes dans le besoin. Voir, compatir, agir : voilà son approche, qui peut inspirer la nôtre. De plus, Jésus nourrissant la foule évoque le Dieu de Moïse qui nourrit le peuple au désert, durant l’exode, avec la manne; la bienveillance compatissante du Dieu vivant est rendue proche.
L’Église aussi est présente: la nourriture ne va pas de Jésus à la foule mais passe par les disciples, qui ont un rôle de médiateurs, comme s’ils étaient les bras de Jésus, son corps en action prenant soin des gens. À noter : le travail de constitution de cellules ecclésiales. La foule ne reste pas un ensemble anonyme mais elle devient un réseau de groupes à taille humaine, de maisonnées, partageant le même don des pains. À la fin, les douze paniers qui restent suggèrent un peuple à venir qui pourra s’en nourrir, i.e. nous. L’assemblée n’est pas fermée sur elle-même de façon définitive; d’autres se joindront au peuple de Dieu, la bonne nouvelle va continuer de se transmettre. Et le repas est chargé de connotations eucharistiques, avec la bénédiction, le pain rompu et distribué. Ainsi, pour la vie ecclésiale et communautaire, les pistes ne manquent pas!
L’échange avec les disciples met en relief une dimension très intéressante. Deux logiques y sont présentes: celle de l’achat et celle du don. Les disciples pensent que la foule doit se débrouiller toute seule et aller s’acheter de la nourriture. Jésus propose que les disciples donnent le peu qui est déjà là, les cinq pains et deux poissons. C’est ce qui advient: le peu est donné, partagé. Paradoxalement, il devient source d’abondance. Comme si le don était créateur, comme si le partage construisait une communauté humaine et sacramentelle.
Cela va à l’encontre de nos réflexes dans une société où chacun doit se débrouiller seul, où le don est considéré inefficace ou signe de faiblesse, et où le peu est déconsidéré, n’étant pas assez prestigieux. Le don peut s’y produire à des moments particuliers, mais il n’est pas structurant dans notre logique sociale, comme il le fut et l’est encore dans certaines cultures autochtones. Jésus nous invite à ne pas demeurer prisonnier de notre culture actuelle et à entrer dans une autre approche: quand nous prenons le risque de partager, même le peu, une abondance est possible. Car le partage peut combler les humains, rassasier leurs faims et briser leurs murs isolants. Comment entrer davantage dans une dynamique de la gratuité et du don? Dans son dernier message du 1er mai, Donnez-leur vous-mêmes à manger, l’AECQ (Assemblée des évêques catholiques du Québec) reprend plusieurs éléments du récit des pains et poissons partagés.
Images
Les images de ce récit sont présentes à chaque époque de l’art chrétien. C’est un récit très visuel, avec ses figures et actions, son lieu, ses aliments et objets. On y voit plusieurs figures : Jésus, les disciples, la foule. Jésus peut être montré, assis ou debout, avec les pains en mains ou les mains ouvertes, présidant le rassemblement et bénissant, ou agissant auprès des disciples. La foule peut être considérable; ou on peut n’en montrer qu’une partie, de plus près, avec des visages de divers âges. Les disciples sont en ministère, organisant les tablées et distribuant les pains et poissons.
Le lieu, près du lac, requiert un espace assez vaste pour accueillir cette foule. Il peut être suggéré, évité, ou présenté de façon détaillée, en faisant ressortir cette herbe mentionnée dans les évangiles. Il y a aussi des aliments et objets à montrer : les cinq pains et deux poissons à la source, les pains et poissons multipliés, les douze paniers à la fin.
Les œuvres qui suivent sont réalisées dans une diversité de matériaux et d’arts, de la mosaïque à l’enluminure, de l’ivoire à l’émail, sans oublier l’assiette en faïence et la sculpture sur bois, et évidemment la peinture.
- Mosaïque, 6e siècle, Basilique Saint-Apollinaire-le-Neuf, Ravenne, Italie. Dans cette église ancienne, les nombreuses mosaïques, un art majeur de l’Antiquité, présentent des scènes bibliques. Jésus, jeune homme royal, au nimbe cruciforme et au vêtement pourpre, est entouré de quatre disciples en blanc. Tous portent de fines sandales sur un sol aux mosaïques vertes. Les bras de Jésus sont en croix. Il tient en mains deux poissons et quatre pains. Serait-il lui-même le cinquième pain?
- Plaque d’ivoire, c.968, Musée du Louvre, Paris, France. Cette oeuvre vient de l’Atelier du groupe de Magdebourg. Elle a été offerte par l’empereur Otton 1er au monastère Saint-Maurice de Magdebourg. Elle est un antependium (devant d’autel), de petite dimension : 12,2 cm de hauteur, 12 cm de largeur, 0,5-0,8 cm d’épaisseur. Elle faisait partie d’un ensemble dont 16 plaques subsistent. Au centre, Jésus assis et nimbé, mains levées, est en train de bénir. En bas, des disciples s’occupent de la distribution. Autour du Christ, des gens qui mangent, proches les uns des autres. Le tout est vivant et entraînant.
- Miniature, c.1411-1416, Les Très Riches Heures du duc de Berry, Ms 65, folio 168v, Musée Condé, Chantilly, France. Le manuscrit comprend 66 grandes miniatures et 65 petites. Les plus anciennes ont été faites par les frères de Limbourg (Paul, Jean, Herman). Ces artistes, originaires de Nimègue, utilisent une grande variété de couleurs; le bleu est très présent. Les paysages s’inspirent de lieux français. Cette grande miniature, attribuée à Herman, fait partie des Heures de l’année liturgique. On y voit le garçon avec les deux poissons et l’apôtre André avec les cinq pains. La foule est assise sur l’herbe verte. Élément plus rare, toute la Trinité est présente : le Père au ciel sur des nuées, l’Esprit comme une colombe, et le Fils, debout et bénissant.

- Miniature, 1433, Evangile de Daniel d’Uranc, n° 1963, folio 2v, Matenadaran (Institut Mesrop Machtots sur les Manuscrits Anciens), Erevan, Arménie. Dans cet Institut, se retrouvent des milliers de manuscrits arméniens. Celui-ci, du 15e siècle, comprend plusieurs miniatures de scènes évangéliques. Ici, Jésus, debout au centre, les yeux levés au ciel, tient deux pains en mains. Les trois autres sont dans le panier à droite; les deux poissons dans celui de gauche. Six disciples, dont Jean, Pierre et Jacques, à droite, sont aux côtés de Jésus. Ils s’apprêtent à distribuer la nourriture à la foule : chacun a en main un pain.
- Lambert Lombard, c.1540-1550, Maison Snijders & Rockox, Anvers, Belgique. Ce peintre et architecte, de Liège, a été marqué par la Renaissance italienne. L’environnement est développé : au bord du lac, des champs, collines et rochers. La foule, nombreuse, est regroupée en tablées. On y voit plusieurs mères avec des enfants; certaines semblent sorties d’un palais de Florence ou d’une peinture de Botticelli. Les disciples font le service aux tables. Jésus, debout au centre, mains ouvertes, regarde vers le ciel. À sa droite, Pierre semble s’interroger.
- Colin Nouailher, plaque d’émail, c.1560-1570, Musée du Louvre, Paris, France. Cet émail (hauteur de 25,8 cm et largeur de 23,9 cm), fabriqué par un des grands experts de Limoges, était présent dans la chronique sur l’apôtre André. On voit celui-ci qui sert d’intermédiaire entre le garçon, doré et auréolé, avec ses cinq pains et deux poissons, et Jésus, rayonnant. L’enfant les remet à André qui les remet à Jésus. La suite est aussi présentée : la distribution des pains et poissons, par des disciples auréolés, aux gens répartis en groupes, dont un pèlerin de Compostelle (coquille au chapeau), vers l’avant à droite. L’herbe est bien verte. En bas, des armoiries devant les corbeilles qui restent. Dans certaines légendes, l’enfant est identifié à saint Martial de Limoges.
- Assiette de faïence, 1565-1570, Musée du Louvre, Paris, France. Cette assiette provient de l’atelier de céramique de Domenego da Venezia, à Venise. Il s’agit d’une majolique (faïence italienne). La scène en Jean est reprise : André et le garçon avec les cinq pains et deux poissons se tiennent devant Jésus, debout et bénissant, Pierre à son côté. Le cadre est rural. Au fond, les disciples commencent à organiser la foule. On imagine très bien un pain et un poisson dans cette assiette.
- Giovanni Lanfranco, c.1624-1625, National Gallery of Ireland, Dublin, Irlande. Ce peintre et graveur de Parme, formé à Rome chez Carraci, s’est inscrit dans le courant baroque, avec son mouvement et ses contrastes. Il fut très actif, avec succès, dans les églises et palais, particulièrement dans les coupoles. Jésus, debout au centre, portant le pain et bénissant, est entouré d’une foule serrée et affamée, comprenant des mères avec enfants et des gens âgés. Des disciples à l’arrière distribuent la nourriture. À droite, deux hommes debout sont en discussion, l’un indiquant le ciel de sa main. La scène est très animée.
- Heinrich van Waterschoot, c.1730-1745, site wikipedia.org. L’emplacement de cette œuvre n’est pas identifié. Son auteur, un peintre flamand, est peu connu; il est mort en 1748, à Munich en Allemagne. L’art du 18e siècle s’est intéressé à la nature, comme environnement des activités humaines mais aussi pour elle-même. Ici, il y a enfin assez d’espace pour une foule de quelques milliers de personnes. La journée est belle, le vert prédomine. On voit au loin la ville et les collines. André et le garçon sont près de Jésus, avec pains et poissons. Jésus debout est en prière, les mains étendues. La foule est regroupée en tablées et les disciples commencent la distribution. Ce souper sur l’herbe sera mémorable.
- James Tissot, c.1886-1894, Brooklyn Museum, États-Unis. Comme il arrive souvent, cet artiste français familier de la Terre Sainte et de cette chronique a un point de vue original. Dans cette région montagneuse, toute une colline est utilisée pour y répartir la foule nombreuse en groupes plus restreints, assis sur l’herbe verte. C’est très bien organisé, avec toute une équipe au travail qui assure le transport et la distribution des pains et poissons. Parmi les apôtres, il y avait des gestionnaires pratiques, des intendants avisés! Jésus est vers le haut à droite, avec son châle blanc, fréquent chez Tissot, assis devant un rocher, rompant le pain.
- Balavendra Elias, sculpture sur bois, 21e siècle, St. George’s Church, Hangleton, East Sussex, Angleterre. Ce sculpteur, originaire des Indes, vit en Angleterre depuis ses dix-huit ans. Il réside à Brighton. La sculpture, en chêne et en if, se trouve dans une église catholique qui contient plusieurs œuvres d’art, dont une série de sculptures sur la vie du Christ. Au centre, on voit le garçon aux pieds de Jésus, lui présentant les pains et poissons que Jésus, assis, reçoit et bénit. Les disciples vont les distribuer à la foule, qui attend à l’arrière. Il y a tout un travail derrière cette œuvre expressive.
- Anne-Marie Forest, 2022, site racef.art, Canada. Cette artiste et catéchète, de Joliette, est membre et co-fondatrice du Racef (Réseau art chrétien et éducation de la foi). Cette œuvre fait partie de l’Exposition Mamo, Vivre le portage ensemble. Le garçon regarde Jésus avec grande attention et lui offre les deux poissons et cinq pains. Sa main touche le cœur de Jésus qui lui touche l’épaule. L’enfant est vêtu de bleu et jaune, aux couleurs de l’Ukraine, et ses traits sont ceux du peuple Atikamekw, auprès de qui l’artiste est engagée. Au second plan, un canot est prêt pour une randonnée sur le lac et on voit, près des paniers, des familles heureuses de se retrouver ensemble. Voici une oeuvre émouvante, qui donne le goût de se joindre à ce pique-nique au bord du lac, sur l’herbe verte, pour partager le pain et sa fraternité …
Daniel Cadrin, o.p.
Dessin à tracer et à colorier
Ci-dessous un dessin simplifié à tracer et à colorier, librement inspiré d’une icône traditionnelle.
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