Rencontres avec Jésus – Sur la montagne

La transfiguration illustrée par l’atelier Dominique-Emmanuel

Une nouvelle invitation à rencontrer Jésus, sur la montagne

UNE RENCONTRE AU SOMMET, QUI TRANSFIGURE : Marc 9, 2-10

Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc– Chapitre 9

02 Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmène, eux seuls, à l’écart sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux.

03 Ses vêtements devinrent resplendissants, d’une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille.

04 Élie leur apparut avec Moïse, et tous deux s’entretenaient avec Jésus.

05 Pierre alors prend la parole et dit à Jésus : « Rabbi, il est bon que nous soyons ici ! Dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »

06 De fait, Pierre ne savait que dire, tant leur frayeur était grande.

07 Survint une nuée qui les couvrit de son ombre, et de la nuée une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! »

08 Soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux.

09 Ils descendirent de la montagne, et Jésus leur ordonna de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts.

10 Et ils restèrent fermement attachés à cette parole, tout en se demandant entre eux ce que voulait dire : « ressusciter d’entre les morts ».

Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris


Commentaire de l’Évangile

Par Daniel Cadrin, o.p.

Déjà, dans ces chroniques, nous avons porté attention aux rencontres de Pierre, Jacques et Jean avec Jésus. Ils font partie des premiers appelés qui se sont mis à la suite de Jésus. Dans cette marche, il y a le quotidien des services et des défis. Mais il y a aussi des temps forts, uniques. C’est ce dont nous parle le récit de la Transfiguration.

Nous nous retrouvons sur la montagne. Dans les Écritures, pour rencontrer le Dieu vivant, certains lieux sont privilégiés : ainsi le désert, la route, le temple, la montagne. Celle-ci est davantage associée à la grandeur et à la gloire de Dieu; c’est le lieu le plus solennel. Élie et Moïse sont passés par cet endroit : ils ont vécu une expérience fondamentale de révélation de Dieu, sur le Sinaï (ou nommé l’Horeb). C’est maintenant au tour de Jésus et de ses disciples d’expérimenter le mystère et l’appel sur la montagne.

Mais ici, c’est en Jésus lui-même que la présence de Dieu est révélée. On y retrouve les signes habituels indiquant cette présence mystérieuse, qui nous dépasse : la lumière, la nuée, la voix, comme au Sinaï. Sans compter ces personnages déjà liés à la montagne, Élie et Moïse, figures de la première Alliance. En Marc, Élie est mentionné en premier, contrairement à Matthieu (17,3). Les deux, Élie le prophète et Moïse le guide, viennent s’associer à Jésus, au Messie qui inaugure l’Alliance renouvelée.

Avant cette expérience forte, les disciples ont reconnu en Jésus le Messie : « Tu es le Christ », a dit Pierre (8,29). Mais Jésus leur a alors annoncé qu’il passerait par la mort et par la croix (8,31). Choc et scandale pour Pierre et les disciples : comment un Messie pourrait-il être faible, mourir crucifié? C’est défigurer le Messie.

Jésus prend les trois disciples plus proches de lui, Pierre, Jacques et Jean (et non Pierre-Jean-Jacques, selon l’expression fréquente!) et les emmène sur la montagne. Ils peuvent alors saisir un peu plus que Jésus est vraiment l’envoyé de Dieu, en qui sa puissance et sa gloire sont présents. À noter: ce sont ses disciples les plus intimes qui ont accès à ce visage lumineux de Jésus, ceux qui l’accompagnent à des moments privilégiés (Mc 5,37; 14,33), qui sont nommés les premiers dans le choix des Douze sur la montagne (3, 13-17). Comme si l’intimité avec Jésus nous faisait entrer plus profondément dans son identité, nous aidait à l’entrevoir, même un instant. Ils en sont d’ailleurs bouleversés, ils ne savent que dire. Souvent en Marc les disciples ne saisissent pas, ils sont dépassés (6, 51-52; 8, 17-18). Et ici, ils aimeraient aussi s’installer en ce lieu (dressons trois tentes) qui est plus rassurant que les défis et conflits de la plaine. À la fin, ils s’interrogent : ressusciter d’entre les morts, de quoi parle-t-il? C’est pour la fin des temps…

Mais ce qui est au centre de ce récit, l’essentiel de ce récit, vient de la Parole, la voix céleste qui est celle des Écritures, la même voix qu’au baptême de Jésus (Mc 1,11). Cette voix appelle à écouter Jésus : Oui, ce Jésus est bien mon Fils, bien-aimé; vous pouvez lui faire confiance, mettez-vous à sa suite. Il va vous déranger et surprendre, il vous parle de croix et de risque, mais son chemin est celui qui mène à la Vie. Dans nos prières, nous disons: « Seigneur, écoute-nous ». Mais ici, les rôles sont renversés: c’est nous qui sommes appelés à écouter Jésus.

Sur leur route incertaine et confuse, comme les nôtres, les disciples, au moins pour un bref temps, font l’expérience d’une lumière unique qui peut les soutenir. Le chemin à venir, à la suite de Jésus, sera difficile, incompréhensible même. Mais une lueur a brillé dans leur obscurité. Ces expériences de la montagne sont provisoires, on ne peut pas s’y installer. Soudain, tout est redevenu normal (9,8) et il faut redescendre dans la plaine, dans le quotidien, avec des questions non résolues. Mais l’expérience faite sur la montagne demeure au plus intime de soi.

Quelles sont ces montagnes où j’ai entrevu cette lumière qui éblouit, ce visage qui illumine? Un lieu spécial, un temps fort, une célébration intense, un groupe inspirant, une musique élevante, une rencontre éclairante, un événement prenant, une parole lumineuse … Sentiment d’une présence qui nous habite, plus grande que notre coeur, qui nous dépasse et nous donne la paix, qui est faite de lumière et de beauté. Il vaut peut-être la peine d’y retourner faire un tour. Ou de s’y rendre pour la première fois. Et qu’est-ce que ces expériences m’invitent à entendre, à écouter? Pour que je retourne sur les chemins et dans les maisons, dans les déserts et les jardins, avec un cœur transfiguré.

Images

Les images de la Transfiguration se sont d’abord développées dans les Églises orientales et dans l’art byzantin. La fête de la Transfiguration y était et est encore une des grandes fêtes de l’année liturgique, le 6 août dans la plupart des Églises. Dans la tradition orthodoxe, grecque et russe, l’icône de la Transfiguration est très importante.

En Occident, c’est à partir du 15e siècle que les images de la Transfiguration se sont développées. La fête était plus ou moins célébrée depuis le 9e siècle mais elle fut intégrée dans le calendrier romain par le pape Calliste III en 1457. Le 16e siècle, particulièrement en Italie, fut un temps privilégié pour sa mise en images.

Plusieurs éléments peuvent retenir l’attention. D’abord le lieu : la montagne, selon les styles, peut être symboliquement évoquée par une élévation ou plus réalistement montrée, à son sommet. La nuée peut être plus petite et discrète ou prendre la forme d’un véritable nuage. Fréquemment, l’espace est verticalement séparé en deux : celui de Jésus, avec Moise et Élie, espace sacré et épiphanique; celui des trois disciples, espace profane des postures humaines d’étonnement et d’effroi.

Jésus est évidemment au centre, en blanc, rayonnant de lumière, sur un pic ou dans les airs. À ses côtés, on voit Moïse et Élie, avec des variantes de position à droite ou à gauche. Parfois chacun est sur son petit pic ou sur un nuage, avec ses attributs évoquant la Loi et les Prophètes : pour Moïse, tablette, cornes; pour Élie, rouleau. Il arrive qu’il ne soit pas évident d’identifier l’un et l’autre, à moins que leurs noms soient écrits. Plus rarement, la voix des cieux, celle des Écritures et du Père, est évoquée par une main, un texte, ou un rayon lumineux. Les trois disciples, Pierre, Jacques et Jean, sont dans des positions et attitudes différentes, disant la diversité des réactions : l’éveil, la crainte, le bouleversement, … Habituellement, Pierre est à gauche, parfois au centre.

Voici quelques œuvres, dont plusieurs viennent des maitres de l’art chrétien, où l’un ou l’autre de ces traits se retrouve.

  1. Mosaïque, 565-66, abside, Monastère Sainte-Catherine, Mont Sinaï, Égypte. Ce monastère du 6e siècle est situé au pied de la montagne par excellence, le Sinaï. Il a été construit sous l’Empereur byzantin Justinien 1er. On y trouve les reliques de sainte Catherine d’Alexandrie et il contient une collection remarquable de manuscrits et d’œuvres d’art. La fête du monastère est celle de la Transfiguration. Dans la mosaïque, il n’y a pas de montagne comme telle. Sur un fond doré, on voit Jésus dans une mandorle bleu, espace sacré, avec un nimbe cruciforme. Moise est à notre droite, main levée pour enseigner, et Élie à gauche. Les disciples, dans l’ordre de gauche à droite, Jean, Pierre, Jacques, sont dans l’étonnement. Les noms de cinq figures sont indiqués. Tout autour, dans les médaillons, se trouvent des prophètes et des apôtres. Nous sommes au début d’une longue histoire d’images.
  1. Miniature, c.1050, Évangéliaire de Cologne, Bibl. 94, f.155, Staatsbibilothek, Bamberg, Bavière, Allemagne. Ce manuscrit de la période ottonienne et de l’École de Cologne contient les quatre évangiles. Le Christ, au nimbe cruciforme et imberbe comme dans l’Antiquité, est posé sur une élévation, avec Moise à notre gauche et Élie à droite (les noms sont écrits). Les trois disciples, en postures d’ébahissement et le regard tourné vers le Christ, sont placés sur le côté droit, à part, ce qui est une approche rare. En bas, il est écrit : Et nous avons vu sa gloire ... Sur la même page, en haut, on voit une scène de la Nativité : le Christ dans une mangeoire, qui a l’air plus d’un petit homme que d’un enfant, avec des anges et trois bergers et leur troupeau. Il est écrit : Le Verbe s’est fait chair. Voici un rapprochement intéressant entre les deux mystères, l’Incarnation et la Transfiguration.
  1. Duccio di Buoninsegna, 1308-11, National Gallery, Londres, Angleterre. Cette oeuvre faisait partie de la prédelle arrière de la Maestà, célèbre retable qui est surtout au Duomo de Sienne. Le peintre de Sienne est un des rares en Occident, à cette époque, à intégrer la Transfiguration dans les séries sur la vie du Christ; mais il y a chez lui influence de l’art byzantin. Sur un fond doré, Jésus, Moïse et Élie sont placés sur le même sommet. Le Christ Pantocrator, bénissant et portant le livre de la Parole, est majestueux dans son habit rouge et bleu aux lignes dorées. À droite, Moïse tient un rouleau déroulé; et à gauche, Élie a aussi la Parole en main. Pierre, Jean et Jacques expriment la stupéfaction et la révérence.
  1. Théophane le Grec, icône, 1403, Galerie Tretiakov, Moscou, Russie. Cette icône fut écrite pour l’église de la Transfiguration de Pereslavl-Zalesski au nord de Moscou. Elle a été attribuée à Théophane le Grec, figure majeure de l’art iconographique, mais cela demeure discuté. Originaire de Constantinople et du monde byzantin, il est allé à Novgorod puis à Moscou. Il fut influent sur l’École de Novgorod et il a formé saint Andrei Roublev. En haut, c’est un monde d’harmonie et de géométrie; en bas, avec les disciples, c’est le désordre et le mouvement. Le Christ tout blanc, rouleau en main, est glorieux, entouré d’un cercle de lumière et de rayons, qui vont toucher les disciples. Et sa lumière circule sur les vêtements des disciples; la communication se fait, de haut en bas. Moise est à droite avec la tablette de la Loi, Élie le prophète à gauche, chacun sur son monticule. Deux séries de scènes sont intégrées : au centre, à gauche, les trois disciples avec le Christ montent sur la montagne, et à droite, en descendent; en haut, à gauche, contact d’Élie avec un ange, et à droite, contact de Moïse. Voici une oeuvre complexe et brillante, dans tous les sens.
  1. Giovanni da Fiesole (Fra Angelico), fresque, 1440-42, cellule no 6, Couvent San Marco, Florence, Italie. Avec son atelier, le peintre dominicain a fait dans chaque chambre de ce couvent une fresque d’une scène de la vie du Christ, pour favoriser la méditation des frères. Le Christ, aux bras en croix, est entouré d’une mandorle blanche; son vêtement ample est resplendissant. Nous voyons Pierre de face, Jacques de dos et Jean de côté. Moïse à gauche et Élie à droite sont évoqués seulement par leur tête; cela suffit. La Vierge Marie, à gauche, et saint Dominique étoilé, à droite, participent à la scène, invitant le frère à y entrer avec eux. Toutes les figures sont nimbées. Voici l’oeuvre d’un artiste, avec son équipe, qui sait allier raffinement chromatique et dépouillement, mais qui est aussi un théologien attentif aux Écritures et à la quête spirituelle.
  1. Raphael Sanzio,1518-20, Pinacothèque, Rome, Vatican. Cette œuvre était une commande pour la cathédrale de Narbonne. C’est la dernière du peintre d’Urbino, figure majeure de l’histoire de l’art. Elle témoigne de sa maitrise exceptionnelle du dessin et des couleurs, mixant tradition et innovation, finesse et puissance. Pour la Transfiguration, dans l’art occidental, c’est l’œuvre la plus connue et commentée. Le Christ, Moïse (à droite) et Élie sont tous les trois dans les airs. Sur un fond bleu, avec un nuage blanc, le Christ aux bras ouverts, dans un vêtement lumineux, s’élève comme un ressuscité. Les trois disciples, étendus, sont éblouis et dépassés. Comme Théophane, Raphael intègre une autre scène, mais de façon plus développée. Elle vient après la transfiguration et un dialogue sur Élie : c’est la guérison d’un garçon possédé (9, 14-29), qu’on voit à droite debout avec son père. Le Christ donne vie et lumière. Cette partie est déjà une riche œuvre en elle-même, avec tous ses personnages; certains, de leur main, pointent vers le Christ. En bas à gauche, un livre est ouvert : à quelle page?
  1. Gerard David, 1520, Musée de l’Église Notre-Dame, Bruges, Belgique. Ce peintre néerlandais, marqué par Memling, a travaillé surtout à Bruges et aussi à Anvers. Il a peint des scènes religieuses, avec une attention aux paysages et au jeu des couleurs. Ses miniatures sont réputées. Jésus, en blanc et hiératique, est seul sur l’élévation de la montagne; Moise et Élie sont installés dans des nuages bien fournis. Élément plus rare, le Père est présent en haut, entouré de lumière et portant une tiare et un sceptre. En bas, on voit Jean, Pierre et Jacques dans des postures de bouleversement. Le paysage est bien développé, avec ses collines, ses arbres et ses cours d’eau. À droite en bas, en plus petit, des gens sont en discussion avec Jésus : il s’agit possiblement du dialogue avec les disciples sur Élie (9, 11-13), qui suit immédiatement la Transfiguration.
  1. Paolo Véronèse,1555-56, Cathédrale Santa Maria Assunta, Montagnana, Province de Padoue, Italie. Originaire de Vérone, Paolo Caliari a fait carrière à Venise. Son sens des couleurs et de la perspective a exercé une grande influence sur plusieurs artistes par la suite. Ici, nous voyons deux espaces bien distincts. Sur le nuage, Jésus en blanc, au visage un peu incertain, est en conversation avec Moise, à gauche, et Élie à droite; cette proximité des trois figures n’est pas fréquente dans l’iconographie de la Transfiguration. Les disciples, dans l’ordre Pierre, Jacques et Jean, couverts par le nuage, sous celui-ci, sont confus et effarés. En haut, des anges virevoltent. Le visage de Pierre ressemble à celui du peintre. Le tout a un effet dramatique et saisissant. Il s’agit vraiment d’un moment spécial.
  1. Umberto Noni, mosaïque, 1924, abside, Basilique de la Transfiguration, Mont Thabor, Israël. Cette église des Franciscains, relevant de la Custode de la Terre sainte, se trouve sur le Mont Thabor, en Galilée, où aurait eu lieu la Transfiguration. Cette immense mosaïque a été réalisée par un artiste de Trieste. Sur un fond doré, le Christ, en blanc et flottant dans les airs au-dessus d’un nuage, est tourné vers le ciel. Moïse, à gauche, et Élie, bien identifiés, sont debout sur un nuage. Élément inusité, le trio apostolique est séparé : Pierre, à gauche, Jacques et Jean, à droite, regardent le Christ avec une certaine surprise ou stupeur. La montagne n’est pas que rocher et pierres mais des plantes y poussent, ce qui aussi n’est pas courant. Sous la mosaïque, il est écrit : Et il est transfiguré devant eux.
  1. Sieger Köder, 2005, Collection privée, Allemagne. Originaire de Wasseralfingen près de Stuttgart où il a étudié en art, ce grand artiste est mort en 2015 à 90 ans. Jeune soldat, il est prisonnier de guerre à Saint-Malo en France. Orfèvre et peintre, marqué par Chagall, et aussi enseignant en art, il est ordonné prêtre en 1971, à 46 ans. Il combine son ministère en paroisse et son travail artistique. Ici, les deux espaces sont clairs. Les trois disciples, yeux fermés, aveuglés et comme en extase, vivent une expérience forte. Moïse à gauche et Élie sont agenouillés et recueillis, non pas debout; ils font partie du cercle de lumière avec le Christ. Celui-ci, dont on ne voit pas clairement le visage mais qu’on devine, comme en d’autres œuvres de Koder (Cène, Lavement des pieds, Emmaüs), est pure lumière, rayonnante. Je peux m’approcher un peu et fermer les yeux pour en recevoir un rayon …

Daniel Cadrin, o.p.


​Dessin à tracer et à colorier

Ci-dessous un dessin simplifié à tracer et à colorier,

Une illustration de l’atelier Dominique-Emmanuel.

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